German ARCE ROSS, le 18 septembre 2021
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Transsexions et détranssexions », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. Psychanalyse Video Blog.com, Paris, 2021
Transsexions et détranssexions
Depuis quelques décennies, nous sommes confrontés à une psychiatrie dominée, d’un côté, par le neuroscientisme, à savoir par la croyance en l’étiologie neurologique des troubles mentaux. Également, d’un autre côté, presque en parallèle a fait irruption un autre fanatisme que j’appelle du terme de genrisme que j’utilise pour me référer à ce qui est convenu d’appeler la théorie du genre ou l’idéologie du genre (Arce Ross, 2016a). Nous assistons à la présence de cette double dégradation idéologique du champ psychiatrique dans une large partie de la psychologie universitaire et même, ce qui est ahurissant, dans un certain secteur de la psychanalyse.
Une partie de ce secteur de la psychanalyse est à proprement parler post-lacanienne et tente même de rendre « queer » le champ freudien (Cavanagh, 2019 ; Richards, 2019 ; Watson, 2019). Elle tente de réinterpréter « le dernier enseignement de Lacan » à l’ombre de l’intégration ou du syncrétisme entre, d’une part, une doctrine fallacieusement réductrice de Lacan à la théorie du genre et, d’autre part, a) les neurosciences (Magistretti & Ansermet, 2010 ; Dimitriadis, 2013), b) le genrisme (David-Menard, 2009 ; Alfandary, 2016 ; Ayouch, 2017) voire même c) les neurosciences et le genrisme conjugués (Fichard-Carroll, 2014 ; Gardey & Vuile, 2018 ; Ansermet & Meseguer, 2020).
En général, sans se l’avouer, ces psychanalystes post-lacaniens se sont coupés des deux premiers segments de l’enseignement lacanien tout en réinterprétant le dernier selon la vision des idéologues genristes et parfois aussi des théories neuroscientistes. Les représentants de cette psychanalyse tant non-lacanienne que post-lacanienne peuvent donc être appelés syncrétiques.
Ce serait apparemment tentant de considérer que les dogmes neuroscientistes, ou cognitivo-comportementaux, donnant la primauté à la biologie sur la psychologie ou sur la sociologie, et les doctrines genristes, proposant exactement l’inverse, seraient contraires en tout. Toutefois, en vérité, ces deux idéologies, indépendamment ou mutuellement, ont au moins en commun le fait qu’elles s’opposent vigoureusement à l’étiologie freudienne et à la psychogénie lacanienne. La raison est que la cause psychique selon la psychanalyse, depuis Freud jusqu’à Lacan, ne se situe ni dans le biologique, ou dans l’organique, comme le conçoit le neuroscientisme, ni dans le social, le culturel ou le comportemental, comme le veut le genrisme. Bien au contraire, la véritable cause freudienne et la psychogénie lacanienne rejettent toutes les deux cette dualité inopérante.
Nous voulons étudier ici l’une des modalités de la jouissance identitaire et son traitement par les programmes technologiques, soi-disant « thérapeutiques », de conversion identitaire. Ces programmes, ou leurs équivalents idéologiques, sont proposés aux transidentitaires en général et plus particulièrement aux sujets transsexuels. Malheureusement, de telles techniques sont néfastes pour ces patients — qu’ils soient transanimalistes, transbébés, fétichistes de couches, sadomasochistes aux tatouages brutaux, transextraterrestres, transracialistes, transsexuels, fétichistes des chirurgies esthétiques, etc. — pour les raisons que nous allons évoquer et parce qu’ils sont les principales victimes de ces manipulations idéologiques, sociales, comportementales, biologiques et corporelles parfois irréversibles.
Nous sommes convaincus que la psychopathologie des patients transidentitaires, dont les transsexuels, requière une aide psychanalytique, mais évidemment pas celle proposée par les technothérapies genristes de conversion identitaire. C’est à ce propos que nous allons évoquer ce que j’appelle la transsexion et la détranssexion.
La Psychopathologie transidentitaire
Le Transanimalisme
Les exemples cliniques qui montrent une psychiatrie et une psychologie dominées par les spectres du genrisme — en alliance avec l’étiologie organo-mécanique ou même avec celle organo-dynamique appartenant au neuroscientisme actuel — ont commencé, comme l’on sait, lors des années 1950 mais se sont répandus de façon exponentielle à partir du début du XXIème siècle.
Nous pouvons nous référer à quelques courts exemples, dont voici un cas très actuel de transanimalisme. « Une femme de 54 ans a souffert du délire selon lequel elle est une poule pendant 24 heures. Cette maladie très rare, connue sous le nom de zoanthropie, dans laquelle les gens pensent être un animal n’est souvent pas reconnue, affirment les chercheurs de l’Université de Louvain » (Verschelde, 2020). « Cliniquement, nous avons vu une dame qui transpirait abondamment, tremblait, faisait exploser ses joues et semblait imiter une poule, tout en émettant des bruits comme des gloussements, en caquetant et en gazouillant comme une poule » (Beckers, Buggenhout & Vrieze, 2020).
Ces « délires d’identité », comme ils l’appellent — ce que je considère plutôt comme étant des phénomènes para-fantasmatiques et pré-délirants de la jouissance identitaire —, seraient accompagnés d’une fluctuation de la conscience et d’une désorientation dans le temps et dans l’espace. Et voici comment ils expliquent cette question. « La zoanthropie peut inclure des personnes qui se croient être ou se comportent comme n’importe quel type d’animal : chien, lion, tigre, crocodile, serpent ou abeille. […] Ce délire peut être le signe d’un trouble psychiatrique sous-jacent ou être secondaire à des anomalies structurelles ou fonctionnelles du cerveau » (Beckers, Buggenhout & Vrieze, 2020).Et du coup, ils se mettent à chercher l’origine de ce symptôme psychotisant avec l’imagerie cérébrale, sans se poser le moins du monde la question d’une possible origine strictement psychique. Mais, quel serait le lien de ces cas avec le genrisme ?
Nous avons ici, tout d’abord, le phénomène identitaire dans toute sa splendeur, à savoir le phénomène, fulgurant ou permanent, d’adhérence psychique à une autre identité que celle du sujet. Le sujet n’est pas persécuté, n’éprouve aucune hypocondrie délirante, ne souffre d’aucune irruption du corps fragmenté, n’a pas d’hallucinations et même la question du délire proprement psychotique serait à discuter. Cependant, il semble se construire une autre identité. Il y a ensuite la négation de l’identité propre et notamment du réel du corps et du sexe, ce qui évidemment rapprocherait ce cas, comme le font justement ces auteurs, du syndrome de Cotard. La négation de l’identité est un élément important qu’il faudrait étudier pour établir les similitudes et les différences des phénomènes de la jouissance identitaire vis-à-vis du délire des négations. Enfin, il y a la prise en compte du symptôme comme une nouvelle identité à coller au sujet au lieu de l’aider à surmonter ces phénomènes.
Cette dernière caractéristique ne me semble pas vraiment animer les psychiatres qui présentent spécifiquement ce cas. Mais, par les temps qui courent, il ne serait pas étonnant de voir quelques autres psychiatres, médecins chirurgiens, psychologues TCC et même des psychanalystes syncrétiques proposer un programme médical, juridique et psychique capable d’apporter à cette patiente une conversion de son identité de femme en une nouvelle identité de poule. Évidemment que ce serait ridicule et pathétique que l’on propose à cette femme une opération pour qu’elle ressemble à une poule et que l’on change sa carte d’identité en indiquant que son nouveau état civil genriste serait « poule ». Et pourtant c’est ce que la psychiatrie dominée par le genrisme pose, défend et tente de mettre à exécution.
Nous pouvons également évoquer un autre cas très actuel de ce que nous pouvons appeler le transanimalisme identitaire, un cas qui effectue des modifications cosmétiques du propre corps pour nier son aspect et le fondre dans une apparence animaliste.
Jenya Bolotov, un Russe de 32 ans, a étiré progressivement sa lèvre, millimètre par millimètre, jusqu’à deux centimètres de son visage. Son but avoué est de ressembler à un ornithorynque et, avec cet objectif, il utilise des lentilles de contact noires et des multiples piercings autour de son nez et sur les sourcils. Selon ses propres mots, il n’y a pas de doute sur la volonté identitaire qui l’anime depuis ses 18 ans et dont la conscience des transformations corporelles volontaires lui est venu, à ses 10 ans, en regardant des piercings chez les autres. Il en témoigne. « Extérieurement, je suis maintenant un ornithorynque. Ma ressemblance est celle que je veux avoir. Il faut du courage pour faire ce que j’ai fait et je vais continuer à modifier mon corps jusqu’à en être heureux » (JeGalère, 2014).
Pour parvenir à modifier les huit parties de son visage, à savoir les lobes des oreilles, les narines, la cloison nasale et les lèvres supérieure et inférieure, selon une émulation intentionnelle de l’animal australien, il a passé pas moins de sept ans (Gayle, 2014). Et il s’estime satisfait de son forfait : « toutes les modifications que j’ai apportées à mon corps me font me sentir entier. C’est ce que je suis maintenant. C’est ce que j’ai toujours voulu être ». Et en effet, nous sommes bien-là devant une pathologie du vouloir être, du vouloir paraître, une pathologie de l’identitaire. Ce qu’il veut changer c’est surtout son apparence, comme si elle avait le pouvoir de lui procurer un apaisement intérieur : « j’adore les ornithorynques, leur apparence et même le mot “ornithorynque” lui-même. J’aime la façon dont mon visage et mes lèvres étirées ressemblent maintenant à un bec d’ornithorynque » (Gayle, 2014).
Il ne va pas sans dire que la question du transanimalisme identitaire est contagieuse. Le mimétisme, la contagion mentale, l’identification hystérique, l’adhérence idéologique parfois fanatique font partie intégrante de la panoplie sociale de l’existence identitaire : « certaines personnes m’ont écrit pour me dire qu’elles souhaitaient pouvoir changer de corps comme moi » (Gayle, 2014). Si pendant son enfance, Jenya Bolotov avait été un garçon extrêmement solitaire, timide et se sentait étranger ou extérieur au monde qui l’entourait, aujourd’hui, grâce à ses transformations corporelles cosmétiques et à la contagion identitaire qui s’ensuit, il a créé un monde virtuel et sociétal autour de sa nouvelle image corporelle. Sauf que cette construction identitaire et donc factice, virtuelle, mensongère, repose sur une négation radicale de son être en tant qu’homme et en tant qu’humain.
Le Fétichisme des couches chez les bébés adultes
Un autre exemple qui se rapproche encore plus de la collusion entre la psychiatrie neuroscientiste et la sociopsychologie genriste est celui des membres de la Communauté des bébés adultes “amoureux” des couches pour bébés (Adult Baby Diaper Lover ou ABDL), que je propose d’appeler Bébés adultes fétichistes de couches (ou BAFC en français).
[La suite de ce texte dans Genrisme et jouissance transidentitaire]
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