German ARCE ROSS, janvier 2016.
Interview accordée à Pauline Iuvchenko, psychanalyste à Kiev (Ukraine), sur les perspectives actuelles de la pratique psychanalytique, le vendredi 29 janvier 2016.
La psychanalyse ne se réduit pas à être une simple psychothérapie, même si tout psychanalyste est forcément aussi un psychothérapeute. Sans doute, en étant la mère des psychothérapies, par la « talking-cure » qu’elle propose depuis toujours, la psychanalyse englobe en son sein la psychothérapie, tout en allant néanmoins bien plus loin que les simples objectifs de cette dernière. En ce sens, la psychanalyse ne s’encombre pas, par exemple, de protocoles ou de procédures standards de guérison.
La tendance à la standardisation dans les institutions psychanalytiques était déjà l’une des fortes critiques faites par Lacan à l’époque des « Variantes de la cure-type » ou de la « Direction de la cure ». Heureusement, dans le sillon tracé par Lacan, désormais nous ne travaillons plus dans l’application standardisée d’un savoir préfabriqué. Mais dans l’exercice d’un non-savoir, ou plutôt d’une « docte ignorance », pour laisser la voie libre aussi bien à l’expression du sujet de l’inconscient chez l’analysant qu’à la part inconsciente exprimée par l’acte analytique.
En effet, compte tenu de l’aspect de construction de l’inconscient, le fait de faire une analyse avec un psychanalyste ou avec un autre, ne produit pas du tout, pour un même analysant, le même inconscient pendant l’analyse et surtout vers sa fin. Car, comme nous l’avons dit, le désir de l’analyste intervient, inconsciemment et involontairement, dans l’inconscient de son analysant de façon à produire, chez ce dernier, un produit composite d’un transfert partagé que l’analysant doit, en dernier recours, valider et accepter, modifier ou refuser.
Nous devons alors combattre la tendance à la standardisation de la psychanalyse sous peine d’abdiquer de la nécessité d’innover et de créer de nouvelles voies de progrès. Concrètement, il ne s’agit surtout pas d’adapter la psychanalyse aux tendances sociétales du moment, ou aux illusions de la médicalisation de la psychiatrie et de la psychologie, comme il ne s’agit pas non plus d’adapter les patients aux doctrines traditionnelles de la psychanalyse.
Qu’est-ce que nous pouvons dire sur les questions que le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) soulève concernant les rapports possibles entre psychiatrie et psychanalyse ? Vis-à-vis du DSM, est-ce que la psychanalyse doit reculer ou doit-elle opposer une ferme résistance à cette matrice totalitaire qui s’impose sur le marché psychiatrique mondial ?
Le diagnostic de la psychiatrie cognitiviste et médicale, tel que le DSM le propose, nous semble une négation totale de la psychopathologie psychanalytique, ainsi que de tous les concepts avancés par plus d’un siècle de recherches psychodynamiques, dans les domaines de la psychiatre sociale, de la psychologie clinique, de la psychothérapie et de la psychanalyse appliquée à la santé mentale.
Cependant, le fait que le DSM ne soit pas du tout notre référence ne veut absolument pas dire que le diagnostic n’ait pas de valeur pour nous. Bien au contraire, il est très important selon nous de pouvoir se réperer en termes nosographiques et nosologiques pour avancer dans chaque effort clinique. Et cela, surtout si la psychopathologie change énormément, selon les mouvements sociaux, politiques, anthropologiques.
En ce sens, il me semble non seulement légitime et bienvenu mais absolument nécessaire de concevoir la fondation formelle d’une nosographie psychanalytique qui existe déjà de façon implicite, mais trop floue, dans l’exercice clinique. C’est pour cette raison que, depuis longtemps, une bonne partie de mon travail de recherche oeuvre dans cette perspective. Le plus grand problème sera toutefois, lorsque la question se posera réellement, de parvenir à un véritable consensus entre la plupart des orientations psychanalytiques parfois si éloignées les unes des autres.
Quels sont les facteurs qui unissent ou qui divisent les psychanalystes en France ? Quelles sont les perspectives de la psychanalyse francophone après la mort de Lacan ? À cause de la “fragmentation” des psychanalystes lacaniens, peut-on parler de stagnation et d’une perte de positions ?
À mon avis, les plus grands risques contre la psychanalyse ne se trouvent pas tout à fait chez les ennemis ou chez les adversaires déclarés de la psychanalyse, dont certains — il faut bien l’avouer — sont de bonne foi. En tout cas, ils peuvent nous aider à voir, ou à revoir, certaines de nos failles que nous ne voyons pas facilement. Et ils peuvent surtout nous aider, tout à fait involontairement, à faire qu’en réaction à leurs attaques nous renforcions nos propres positions en termes théoriques et cliniques.
En revanche, je pense que le plus grand péril pour la psychanalyse vient plutôt des psychanalystes eux-mêmes. Notamment, d’abord, pour cause d’un excès de dogmatisme et rigidité dans les institutions psychanalytiques concernant la pratique clinique. Ou ensuite, pour cause, au contraire, d’un syncrétisme avec les données soi-disant “scientifiques” de la psychiatrie médicale ou de la neurobiologie. Ou finalement, pour cause d’un attachement identitaire poussant quelques psychanalystes vers des dérives sociétales, comme si la psychanalyse devait devenir une mouvance à factions idéologiques.
Pour sauvegarder et défendre la psychanalyse de ces trois grands périls, nous devons ainsi tenir fermement, mais avec enthousiasme et ouverture d’esprit, dans la perspective marquée par Freud, Lacan et quelques autres.
German ARCE ROSS. Paris, février 2016.
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