German ARCE ROSS. Paris, le 1er août 2018
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Le Suicide identitaire d’Oksana Chatchko », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2018.
The Identitary Suicide of Oksana Chatchko
Why can we consider that the tragic end of Oksana Chatchko, the former extremist leader of Femen, responds to the logic of identitary suicide? To what extent is the ideological radicalization of the Societal Justice Warriors equivalent to a conversion to religious experience and to a fundamentalist or fanatic commitment? How can panfeminist or genderist radicalization lead to what we call identitary suicide?
El Suicidio Identitario de Oksana Chatchko
¿Por qué podemos considerar que el final trágico de Oksana Chatchko, extremista del grupúsculo Femen, responde a la lógica del suicidio identitario? ¿En qué medida la radicalización ideológica de los Justicieros Societales equivale a una conversión en la experiencia religiosa o a un compromiso fundamentalista? ¿Cómo puede la radicalización panfeminista o generista conducir a lo que llamamos suicidio identitario?
Le Suicide identitaire d’Oksana Chatchko
Pourquoi peut-on considérer que la fin tragique d’Oksana Chatchko, extrémiste du groupuscule Femen, répond à la logique du suicide identitaire ? Jusqu’à quel point la radicalisation idéologique des Justiciers du sociétal équivaut à une conversion dans l’expérience religieuse et à un engagement fondamentaliste ou fanatique ? Comment la radicalisation panféministe ou genriste peut-elle mener à ce que nous appelons le suicide identitaire ?
Une mission de Justicière du sociétal
Les facteurs de radicalisation sur lesquels je travaille dans une longue recherche à paraître, ont été observés aussi bien chez les jeunes recrues de Daech que chez les extrémistes suprémacistes ou néo-nazis. Mais nous pouvons les percevoir également chez les sex-identitaires, les panféministes ou les genristes, dont quelques uns finissent par accomplir des suicides identitaires. C’est-à-dire qu’il s’agit de suicides commis dans le cadre d’une expression publique ou politique extrêmement personnalisée où le phénomène identitaire vient se superposer au sable déjà mouvant des structures psychopathologiques classiques.
Parfois, ces suicides identitaires peuvent tourner aux crimes de masse comme c’est le cas des meurtres collectifs de collégiens ou de lycéens commis par des jeunes désoeuvrés, dont le massacre de Columbine, en 1999, en est l’exemple le plus tristement connu. Mais, d’autres fois, ils touchent directement les leaders de quelques groupes fanatisés sans qu’il y ait pour autant aucune action terroriste ni aucun crime de masse effectivement commis. C’est le cas, par exemple, du suicide d’Oksana Chatchko, fondatrice avec l’idéologue extrémiste Viktor Sviatski du mouvement Femen, un groupuscule panféministe et sex-identitaire né en Ukraine.
Lorsqu’elle avait 12 ans, appartenant à une famille très religieuse, orthodoxe, Oksana Chatchko avait le projet de rentrer dans un couvent (Girard, 2018). Elle avait ainsi affirmé qu’elle voulait « arrêter de vivre une vie normale et devenir une moniale » (Leturcq, 2018), comme si elle cherchait à être adoptée par une autre famille que la sienne et à ne pas être considérée comme une femme avec un homme, mais une femme dans la solitude extrême, vierge pour toujours, cloîtrée. Cependant, elle se surprend par la négative de sa mère : « pour moi, cela a été une grande surprise que ma mère ait vu cela comme une tragédie, elle a commencé à pleurer et m’a demandé de ne pas partir. Elle a également organisé une grande réunion avec toute la famille, où elle a demandé à tout le monde de me parler. Comme je le disais, j’étais une enfant très sérieuse, tout le monde disait que j’étais “née adulte” » (Leturcq, 2018).
Deux ans après que sa mère l’en ai dissuadé et dans le contexte où ses parents avaient perdu leur travail dans une usine, que tout le pays était confronté à une profonde crise économique et sociale, que sa famille était sans argent, sans travail et sans perspectives et surtout que son père était devenu alcoolique, Oksana Chatchko effectue une véritable conversion idéologique. En effet, elle passe à contester l’ordre ecclésiastique, à incriminer tout ce qui a trait à la religion et à se rapprocher de groupes extrémistes communistes alors même que le communisme avait tout détruit dans son pays. Elle dit d’ailleurs ne s’intéresser au communisme pour ce qu’il a fait ou pouvait faire, mais uniquement pour son « idéologie » (Leturcq, 2018). Si Oksana Chatchko était déjà très sensible, influençable et vulnérable concernant les difficultés de la vie en société, il semblerait qu’elle portait en outre la pathologie familiale qui allait rapidement se manifester par la radicalisation identitaire qui la conduisit, à terme, au suicide. Il faut dire qu’en deux ans, avant l’acte final, elle a fait trois tentatives de suicide (Ackerman, 2018).
Vivant depuis des années en proie à des terribles confusions entre son identité singulière de femme et l’identité extra-subjective des femmes violentées, Oksana Chatchko s’est pendue, à l’âge de 31 ans, dans son appartement à Paris, en juillet 2018. Dans la lettre qu’elle a laissé pour expliquer son acte, elle exprime sa haine délirante accompagnée d’une vieille colère refroidie contre ce qu’elle appelle « l’hypocrisie de la société et des hommes » (AFP, le 24 juillet 2018). Elle a tellement écrit des messages de protestation contre une injustice sociale — dont elle estimait que d’autres femmes en étaient les victimes — sur sa propre peau dénudée, qu’elle a finit par s’identifier à La victime justicière de toutes les autres. Elle agissait ainsi comme une sainte christique, comme une Justicière sociétale, avec sa couronne d’épines et de fleurs sur la tête, en prêtant volontiers sa souffrance pour expier celle de toutes les autres.
Extrême droite, extrême gauche et radicalisation sex-identitaire
Un autre phénomène de conversion identitaire s’est alors produit la faisant transférer, cette fois-ci, ses problématiques identitaires du communisme vers le féminisme extrême. Malheureusement pour elle, cette deuxième conversion idéologique et sa radicalisation ont probablement contribué à ce qu’elle vienne s’attaquer injustement à sa propre vie. Comme dans la psychose mélancolique, l’horizon du délire identitaire reste bien le suicide, mais dans le cas de la radicalisation identitaire il s’agit d’un suicide très différent. Si le suicide maniaco-dépressif est surtout altruiste, le suicide identitaire reste anomique, bien que parfois public, s’il est unique. Mais il peut devenir justicier en armes et terroriste, c’est-à-dire accompagné de crimes de masse, si les angoisses anomiques se transforment en haine identitaire.
Notons, tout d’abord, que certains indiquent que le groupuscule Femen serait lié, depuis sa création, à des organisations d’extrême droite et qu’il a été en contact avec la Coalition des partis de la révolution orange, la Confraternité de Saint-Luc, UNA-UNSO, le Comité noir et Svoboda, le Parti social-nationaliste d’Ukraine aussi appelé Union panukrainienne “Liberté”, tous des groupes politiques ultra-nationalistes et des organisations véhiculant clairement de la haine identitaire (Pechter, 2014). D’ailleurs, il n’est pas rare de lire sur les poitrines obscènes des filles Femen des slogans anti-chrétiens, comme dans ce genre d’extrémisme on peut d’ailleurs commettre des discours ou des actions anti-Islam ou anti-sémites. Nous savons qu’il peut très salutaire de critiquer la religion et surtout sa radicalisation. Mais il faut savoir respecter les lieux de culte aussi bien que les gens qui y croient. Autrement, nous serions en train de dériver vers le totalitarisme, comme dans le communisme soviétique ou dans la société national-socialiste.
Ensuite, il faut indiquer que Viktor Sviatski, le très manipulateur, misogyne, ultra-idéologue et co-fondateur du groupe sex-identitaire Femen, est probablement l’instigateur qui a poussé Oksana Chatchko à devenir « sextrémiste », selon ses propres termes à elle. C’est tout à fait ironique qu’un groupuscule qui tente contester la tyrannie des hommes sur les femmes ait été pendant longtemps dirigé et dominé par un garçon tyrannique avec les filles du groupe. Viktor Sviatski considère à son tour que « ces filles sont faibles. Elles n’ont pas un caractère fort. Elles n’ont même pas le désir d’être fortes. Elles se montrent soumises, molles, pas ponctuelles, et plein d’autres facteurs qui les empêchent de devenir des activistes politiques. Ce sont des qualités qu’il est essentiel de leur apprendre » (Dehesdin, 2013).
Également, selon le journal d’Anna Hutsol, l’autre tête pensante du groupe sex-identitaire, les filles Femen doivent revendiquer une position national-féministe. Dans son blog, elle dit explicitement : « nous formulons une conception nationale de la féminité, de la maternité et de la beauté, en nous appuyant sur l’expérience du mouvement des femmes euro-atlantiques » (Hutsol, 2009).
De son côté, l’ancienne membre du groupuscule national-féministe donc, après l’avoir quitté et avoir été condamnée pour exhibition sexuelle en 2017, Éloïse Bouton tient à témoigner de l’hystérisation jouissive qui la domine lors de leurs actions publiques. Il s’agit d’un choc émotionnel, probablement en lieu et place d’un orgasme féminin mis à l’écart, qui fait évoluer en elle le processus de la radicalisation identitaire. Elle dit que, lors de ces moments fulgurants, « tout à coup, tout se précipite. Je déboutonne ma veste. Je la jette au sol. Je dégaine ma couronne de fleurs […] Je crie en regardant la caméra […] Je cours du plus vite que je peux […] Je tombe à genoux. Je ne résiste pas […] Je sens le métal froid des menottes enserrer mes poignets » (Bouton, 2015).
L’Acte identitaire comme événement charnel
L’Idéologie protège-t-elle ou incite-t-elle aux passages à l’acte ?
La question du socle de substitution qui stabilise ou rééquilibre le sujet, tout en faisant suppléance à la forclusion, est en même temps un aspect bien paradoxal. L’adhérence à la pratique de la religion pourrait ainsi être un exemple. Évidemment, sous son versant “opium du peuple”, elle peut mener vers une aliénation bien dosée qui, comme toute idéologie, philosophie ou système de pensées, de croyances, de sentiments et de comportements strictement codifiés, fait suppléance. C’est-à-dire que, sous certaines conditions, la religion non fanatisée peut faire lien social, elle peut contenir, retenir les violences humaines, aider le sujet à dominer ses pulsions et à maintenir la paix sociale autour de lui. Par ce côté-là, elle peut sans doute préserver ou protéger des passages à l’acte suicidaires.
Cependant, il se trouve que ce qui fait lien social, les systèmes de pensées, de croyances et de sentiments, comme l’idéologie, la philosophie, l’art ou la religion, peuvent paradoxalement, sous certaines conditions, provoquer l’inverse. Dans l’évolution d’un processus de radicalisation, où le sujet risque de perdre sa capacité autonome de penser et de désirer, on peut trouver le risque de dépasser certaines limites et tomber soit dans le martyre blanc d’une position mystique fanatisée, soit carrément dans le martyre rouge par où on se fait soi-même un terroriste potentiel de soi ou des autres. À savoir que cela peut provoquer les violences, les suicides identitaires voire les crimes-suicides. C’est le cas par exemple de la “fanatisation” ou de la radicalisation d’une secte, d’une religion, d’une idéologie, d’une philosophie, d’une intense rupture de continuité qui capte le sujet à la place de la forclusion.
On pourra lire la suite de ce texte dans le livre Jouissance identitaire dans la civilisation
German ARCE ROSS. Paris, le 1er août 2018
Bibliographie
ACKERMAN, Galia, « Oksana Chatchko était une vraie révolutionnaire, une âme pure, une artiste qui voulait transformer le monde », The Huffington Post, le 30 juillet 2018
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