German ARCE ROSS, Paris, le 30 octobre 2014.
Quels seraient les marqueurs qui nous serviraient à déterminer si nous sommes devant une jalousie normale, devant une jalousie pathologique (non-délirante) ou devant une jalousie psychotique (délirante et érotomane) ?
Nous pouvons dire que le premier trait différentiel pour identifier une jalousie pathologique, qu’elle soit non-délirante ou bien délirante, serait l’absence d’une véritable relation amoureuse partagée entre deux sujets. Car s’il n’y a pas cela, on pourra vérifier, dans la plupart de ces cas, que le sujet se fabrique, ou bien fantastiquement ou bien de manière délirante, une autre réalité qui se superpose, ou se substitue, à la réalité intersubjective. Cependant, sous certaines conditions, il se peut que ce critère soit absent et pourtant que la jalousie reste normale. Cela peut tout à fait avoir lieu dans le cas de la naissance de l’amour, dans le sens où, forcément, la relation amoureuse n’a pas encore été accomplie et pourtant le sujet n’est aux prises ni avec un fantasme ni avec un délire. Mais il est devant un débordement important de la jalousie normale qui lui permet tout simplement de mobiliser, sans atermoiements, son désir d’amour,. Cette jalousie normale sans relation amoureuse encore effectuée lui permet justement de révéler et d’accéder à cette expérience du désir d’aimer.
Ce constat nous fait dire, d’une part, que ce premier marqueur n’est pas du tout suffisant pour séparer la jalousie normale de la pathologique aussi bien que de la délirante et, d’autre part, qu’il doit bien exister d’autres critères qui viennent compléter ou complexifier la simplicité inefficace du premier. Cela dit, le premier marqueur reste malgré tout valable bien qu’insuffisant.
Sans doute, s’il n’y a pas une relation amoureuse véritable, qu’elle soit vécue ou pressentie, c’est qu’on commence très probablement à s’éloigner de la jalousie normale. Mais, pour identifier une jalousie pathologique, il faudrait, en plus, qu’à l’intérieur de cette expérience amoureuse (réelle ou pressentie), ce soit la rivalité, réelle ou fantasmée, qui prenne le dessus sur l’amour. Car, dans la jalousie pathologique, l’envie chasse le désir et la rivalité s’impose sur l’amour.
Néanmoins, on pourrait encore nous objecter en disant qu’une réelle relation de rivalité peut exister dans une expérience amoureuse donnée sans qu’aucune des deux ne devienne pathologique. C’est vrai. Sauf que cela est dit en négligeant le fait que, dans la pathologie de la jalousie, c’est la relation de rivalité qui devient à la première place. C’est ainsi qu’il s’impose un deuxième critère.
Le deuxième marqueur pour considérer que la jalousie devient pathologique est identifiable lorsqu’on commence à suspecter l’Autre de façon systématique et que, de là, on passe à s’intéresser non pas tellement au partenaire mais presque exclusivement au rival. Cela implique que la jalousie envahit de plus en plus complètement, ou presque complètement, la vie psychique du sujet jaloux.
Celui-ci vient à supposer que les relations amoureuses et sexuelles entre le partenaire et le rival sont, ou ont été, impressionnantes de plaisir et de jouissance. Le sujet jaloux passe à développer sa tendance à survaloriser la capacité érotique et relationnelle du rival, tout en se rabaissant lui-même sur tous ces plans. C’est dans la passivité foncière devant le couple partenaire-rival que le jaloux pathologique s’enferme. Mais la colère et l’agressivité, voire l’agression, peuvent venir s’installer dans un puissant système de défense et de protestation contre cette passivité insupportable. Et là, le sujet peut se trouver au seuil d’un passage à l’acte passionnel. Pour cela, nous devons parler d’un troisième critère.
C’est dans ce sens qu’un troisième marqueur pour déterminer si nous avons affaire à une jalousie pathologique doit être mentionnée ici. Il se trouve dans le fait que le sujet transpose sa relation de rivalité extrême du rival vers le partenaire, avec toute la charge haineuse, rancunière, persécutrice, rageuse… et progressivement violente.
Dans notre société actuelle, les relations amoureuses sont devenues complètement anarchiques. Les règles du jeu de l’amour ayant explosé en de multitudes types de relations possibles, l’amour véritable est difficile d’identifier. Parfois, il se confond fréquemment avec des simples échanges sans véritable engagement de couple. Cependant, malgré l’apparente liberté sexuelle et l’également apparente légèreté des sentiments, il y a paradoxalement une recrudescence impressionnante de la jalousie pathologique à l’heure actuelle.
Interview de German Arce Ross accordée au journaliste Clément Pétreault pour l’hebdomadaire Le Point, du 16 octobre 2014. Nous remercions vivement Clément Pétreault pour son excellent travail.
Photo : « Paris Texas », film de Win Wenders, Palme d’Or au Festival de Cannes 1984. Avec Nastassja Kinski et Harry Dean Stanton. Argos Films et Road Movies Filmproduktion, Allemagne de l’Ouest, France, UK et USA, 1984.
German ARCE ROSS, Paris, le 30 octobre 2014.
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