ARCE ROSS, German, « Jane Birkin, les dates d’un deuil impossible ?
», Nouvelle psychopathologie et psychanalyse, PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2023

Jane Birkin, les dates d’un deuil impossible ?

Le 16 juillet 2023, Jane Birkin est décédée à l’âge de 76 ans. Longtemps à la santé fragile, elle a été retrouvée sans vie à son domicile à Paris (Cabot, 2023).

Questions

Jane Birkin souffrait-elle d’un deuil indépassable dont la perte ne pouvait devenir autre chose qu’un mausolée incorporé minant sans égards sa santé générale ? Les dates, les années, les âges, ont-ils joué un rôle important pour que se dénoue le désespoir et s’apaise de ce même coup le permanent et dangereux deuil de soi ?

Kate Barry

La première fille de Jane Birkin, Kate Barry, est née en 1967. Un an après, Jane divorce du père de Kate. Celle-ci, ancienne dépendante aux drogues, ayant des relations compliquées avec l’alcool et extrêmement angoissée, est décédée le 11 décembre 2013, à 47 ans, deux ans après le décès de son père, en tombant de son appartement au quatrième étage de la rue Chahu, à Paris XVIe, où elle avait emménagé cinq jours plus tôt. On sait qu’elle n’était pas tout à fait en accord avec le choix de cet appartement. Pourtant, elle y est allée. 

Il se trouve que, ce soir-là, personne n’a informé Jane Birkin de ce triste événement et elle a donné le concert qui était prévu en province sans connaître la nouvelle de sa fille. « À 400 km de là une femme monte sur scène à Besançon. Il est 21h15 et Jane Birkin ignore tout du drame qui s’est déroulé à Paris trois heures plus tôt. Son régisseur Alexandre ne sera prévenu par ses filles Charlotte et Lou qu’une fois le tour de chant commencé et préfèrera laisser aller le concert à son terme avant d’assurer le retour en urgence sur Paris… » (JDD, 2013).

N’est-ce pas, bien après-coup, une terrible culpabilité — involontairement forcée par un tiers —, celle de chanter le soir même où sa fille décède ? Les circonvolutions que le cours de la vie d’un endeuillé sans le savoir ont eu, en fonction de la mort d’un être cher, peuvent apporter, bien après-coup, une angoisse de culpabilité insidieuse et risquant de s’attaquer à la santé générale du sujet. Surtout lorsque d’autres éléments de coïncidence viennent s’ajouter au tableau. 

À cet égard, la rue Chahu où a emménagée Kate se trouve à peine à cent mètres de la rue où a habité Jane Birkin, après avoir quitté Serge Gainsbourg. Vu l’état présenté par Kate Barry au moment de sa mort et compte tenu des ruptures vécues au début et tout le long de sa vie, il est évident que l’hypothèse la plus probable de sa mort est le suicide. D’ailleurs, c’est Jane Birkin elle-même qui le dit : « ma fille s’est foutue en l’air » (Birkin, 2020). C’est comme si dans une Autre scène, Kate était revenue au domicile maternel pour se donner la mort. Et pour indiquer par ce passage à l’acte où se trouvait le foyer de ses souffrances : chez la mère.

Jane Birkin allait très mal après le probable suicide de sa fille. « J’étais assez sûre de moi comme maman. C’est ridicule mais je pensais, je sais quoi faire, je sais les nourrir, je sais les masser, je sais les cajoler… Quand ma fille est morte, j’ai perdu cette confiance-là, ce qui fait que je ne savais plus quoi faire. J’étais sortie de la vie, enfin je vivais une sorte de vie en parallèle » (OF, 2018).

Nous savons à quel point, il est très difficile de faire un deuil lors de la perte d’un enfant ayant vécu suffisamment pour créer des liens, des souvenirs, des projections et des espoirs très forts chez le père ou chez la mère. Beaucoup n’y arrivent pas. Mais c’est encore plus difficile à dépasser lorsque ce décès est dû à un suicide. C’est un acte d’une violence incommensurable pour le parent qui tente, tant bien que mal, d’élaborer le deuil de cet enfant.

Mère en deuil ou deuil de la maternité ?

Il me semble que personne ne pourrait reprocher à Jane Birkin d’avoir été si peu féministe, sauf peut-être certaines fanatiques de la haine des hommes, des pères et du patriarcat. Jane Birkin non féministe ? C’est d’abord, Lou Doillon, sa fille, qui le soutient (Voici, 2015). Et ensuite, Jane Birkin qui l’avoue elle-même. « La difficulté a été de savoir si je valais quelque chose sans lui [Serge Gainsbourg], en fait. Parce que j’ai tellement fait corps avec lui que c’est un peu vertigineux de marcher seule, avec cette réelle crainte que tu ne vaux rien. […] Être vue comme son “objet” – d’ailleurs, je donnais autant que je recevais – je trouvais ça finalement très marrant. Et poser nue à cette époque, quelle vengeance contre les filles de l’internat qui se moquaient de moi ! » (Rochon, 2020). En effet, Jane Birkin ne véhiculait pas du tout les insignes du discours féministe, tellement elle était proche de quelques hommes d’exception, comme John Barry et Serge Gainsbourg, qui l’ont petit à petit façonnée dans l’art de devenir artiste. Si elle avait commencé sa carrière dans l’actualité, en faisant tout ce qu’elle faisait à l’époque, on aurait certainement crié à la collaboration avec le sexisme du mâle toxique. Ou avec je ne sais quel patriarcat dominateur, impérieux, méchant.

Cependant, malgré sa révolte existentielle, libertine et obsédée par le sexe, si Jane Birkin était le contraire d’une femme féministe, elle a pourtant souffert de l’un des symptômes de cette pathologie macropsychique. À savoir qu’elle n’a pas su, au moins avec sa fille Kate, créer le lien absolument nécessaire entre une mère charnelle et un père stable et présent. Elle a quitté le père de Kate la même année de sa naissance pour vivre des aventures avec un excellent artiste mais sulfureux homme qui a joué le rôle de père de substitution à cette enfant. Jane Birkin a, en effet, caché à Kate l’existence de son vrai père jusqu’à sa puberté.

Or, nous savons que tous les enfants du monde ont besoin d’un père et d’une mère en permanent lien avec eux pour qu’ils puissent se développer de manière équilibrée. Si l’on regarde la photo illustrant cette note, on perçoit le visage un peu malheureux, anxieux, retenu de la petite Kate, avec quelques boutons sur la joue, au regard pas très rassuré et avec la petite bouche dont les extrémités restent tristement inclinées vers le bas et empêchée par une petite main que l’on ne sait plus si elle représente un doute ou un message de détresse. Contrastant avec le visage de la petite Kate se trouve en arrière plan la figure lumineuse, vive, maquillée, coiffée de Jane Birkin, probablement déjà prête pour une nouvelle sortie d’aventures loin de sa fille.

En effet, nous savons à quel point Jane Birkin était impliquée dans sa nouvelle vie avec Serge Gainsbourg et comment elle devait être si peu disponible pour sa fille, au moins à cette époque. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que Kate Barry ait profondément souffert – depuis sa plus petite enfance – de l’absence du lien absolument nécessaire entre une mère et un père et qu’elle ait sombré dans la toxicomanie, l’alcoolisme et l’anxiodépression, comme son beau-père.

Ce n’est que bien plus tard, au moment où Kate devient mère, qu’elle tente de réparer la terrible faille de la maternité de Jane Birkin avec elle. « Un séjour dans un institut spécialisé à Londres avait transformé la jeune fille timide et angoissée, qui avait découvert l’existence de son père à 11 ans, en une mère responsable et engagée » (Chablis , 2015). Sachant la réaction de sa fille Kate devant la maternité, est-ce que nous pouvons nous demander si Jane Birkin a éprouvé une sorte de deuil de la maternité – un symptôme typiquement féministe – dans la relation à sa fille aînée ?

Concernant sa relation vis-à-vis de Kate, Jane Birkin reconnaît avoir « failli à sa mission » de mère. « Le premier enfant essuie tout. Oh, la pauvre Kate ! Qu’est-ce que j’ai fait comme scènes, qu’est-ce que j’ai fait comme hystérie. […] Je souhaitais être chouette. Je voulais être sa copine en plus. Donc, il n’y avait pas de règlement. Oh, il y a eu tellement d’erreurs »  (Defougerolles, 2023). À la place du manque de maternité dans la relation avec sa fille Kate, Jane Birkin voulait combler le déficit par quelque chose de malvenu entre une mère et sa fille : une pseudo relation d’amitié. En outre, en disant qu’« il n’y avait pas de règlement », elle reconnaît ne pas avoir donné les conditions nécessaires pour la place et la fonction symbolique de la paternité.

Partant de cet état de faits associant le suicide de Kate avec la maternité en souffrance lors de sa petite enfance, Jane Birkin créé logiquement une culpabilité réelle qui se retourne dangereusement contre elle-même. À savoir qu’elle considère qu’elle n’a plus «  le droit d’exister » (Defougerolles, 2023). N’était-ce pas cela justement la réelle intention inconsciente du suicide supposé de Kate dans le même quartier où elle avait vécu avec sa mère lors de son adolescence ?

D’ailleurs, cette dernière question nous fait évoquer notre ancienne hypothèse sur le suicide inconscient. Il s’agit de ce processus si long et pénible parfois où un sujet, ayant fait le deuil de soi-même, laisse inconsciemment son corps traverser une succession d’événements de graves maladies (crises cardiaques, infections du rein, AVC, cancers…) jusqu’à la mort. Le processus de suicide inconscient serait ainsi laisser sa santé dériver comme si cela équivalait à envoyer un message, trop retenu mais terriblement agissant, à un Autre qui a profondément déçu.

Les Dates, les années, les âges

Bien souvent, la date du suicide, ou quelque chose en lien avec cette date (l’année tout simplement, par exemple), revient avec force dans la vie de la mère ou du père endeuillé. Nous avons vu ce processus à l’œuvre dans plusieurs cas. C’est celui, par exemple, de Jean Seberg qui se suicide deux ans à peine après le décès de son frère et surtout neuf ans plus tard la mort précoce de la fille qu’elle avait eu avec Romain Gary. Et celui-ci finit par se suicider également quelques mois plus tard (Arce Ross, 2016, 2020).

Notons ici que la confluence des dates de décès était déjà connue par Jane Birkin il y a trente ans. En mars 1991, en à peine quelques jours d’intervalle, Jane Birkin est confronté au décès de Serge Gainsbourg,  le 2 mars, aussi bien que de son père, David Birkin, le 7 mars, à 77 ans, le jour des obsèques de Serge Gainsbourg. Par ailleurs, Pascal de Kermadec, le compagnon toxicomane de sa fille Kate et père de son seul fils Roman, est décédé quelques mois après, en janvier 1992 (Libra Memoria), devant Roman lorsque cet enfant n’avait que 4 ans. Sans oublier que Kate Barry se défenestre en décembre 2013 à peine deux ans après la mort de son propre père, également à l’âge de 77 ans, en janvier 2011.

Nous savons que Jane Birkin n’allait pas bien déjà au moins depuis un an avant le probable suicide de Kate, sa fille. Ainsi, en 2012, Jane a dû annuler sa tournée pour cause d’une péricardite. N’avait-elle pas de graves angoisses pour cause de la santé mentale de Kate, celle qui allait décéder un an plus tard ? On peut le supposer.

Exactement dix ans après cette période pénible, soit en 2022, Jane Birkin est atteinte d’un AVC. Et elle finit par décéder, à 76 ans, pratiquement le même âge du décès de son père, dix ans après le probable suicide de sa fille Kate, à 47 ans.

Dans la vie, on peut avoir des années érotiques et des années de créativité. Dans un deuil indépassable, certains sujets peuvent malheureusement vivre en permanence en fonction de dates, d’âges ou d’années de coïncidence vers lesquelles se précipite la déchéance de leur biographie.

German ARCE ROSS, Paris, le 16 juillet 2023

Jane Birkin, the dates of an impossible mourning?

On July 16, 2023, Jane Birkin died at the age of 76. Long in poor health, she was found lifeless in her Paris home (Cabot, 2023).

Was Jane Birkin suffering from an indescribable grief, the loss of which could become nothing more than a built-in mausoleum undermining her general health? Did dates, years and ages play an important role in unraveling her despair, and thereby alleviating her permanent and dangerous self-mourning?

Jane Birkin, ¿las fechas de un duelo imposible?

El 16 de julio de 2023, Jane Birkin murió a la edad de 76 años. Aquejada de problemas de salud desde hacía tiempo, fue encontrada sin vida en su casa de París.

¿Sufría Jane Birkin un duelo indescriptible, en donde la pérdida podía convertirse en nada más que un mausoleo incorporado que minara su salud general? ¿Jugaron las fechas, los años y las edades un papel importante a la hora de desentrañar su desesperación y, al mismo tiempo, calmar su permanente y peligroso duelo de sí misma?

Bibliographie

ARCE ROSS, German, La Fuite des événements, Séries, Livre II, Huit intérieur publications, Paris, 2020

BIRKIN, Jane, Oh ! Pardon tu dormais…, 2020

CHABLIS, Lili, « Kate Barry : La vérité sur sa mort ! », Public, le 11 septembre 2015

DEFOUGEROLLES, Agathe, « “Tellement d’erreurs” : le grand regret de Jane Birkin après la mort de sa fille Kate », Au féminin, le 17 avril 2023

JDD, « Les Cinq derniers jours de Kate Barry », JDD, le 15 décembre 2013

LIBRA MEMORIA, « Monsieur Pascal de Kermadec, 1959 – 1992

OF, « Jane Birkin évoque la mort de sa fille : “J’étais sortie de la vie” », Ouest France, le 5 décembre 2018

ROCHON, Catherine, « L’Interview girl power de Jane Birkin », Terra Femina, le 16 sep- tembre 2020

VOICI, « Lou Doillon s’en prend à Françoise Hardy, Beyoncé et Jane Birkin, pas assez fé- ministes selon elle », Voici, le 27 juillet 20215