German ARCE ROSS. Paris, 1996. Texte repris et réécrit en 2021.
Présentation-débat, sous le titre « Passion altruiste sectataire et castration », du livre La Secte Russe des castrats, de Nikolaï Volkov, Librairie Interférences, Paris, le 13 juin 1996, avec la participation de Gérard Wajeman, Hugo Freda et Claudio Ingerflom.
Référence bibliographique : ARCE ROSS, German, « La Castration réelle dans la secte Russe des castrats », in : Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog, Paris, 2012.
Real Castration in the Russian Sect of Castrati
According to testimonies gathered by Nicolai Volkov, the Russian castrati sect practiced castration and mutilation of organs and muscles on children aged nine, ten or fourteen. Despite this fact, the argument of voluntary and conscious servitude of the subject had been advanced to defend the validity of these practices. Let us then take this hypothesis into consideration.
Sectarian mutilation, suicide, or murder can evoke a sense of disgust and revulsion for their violent character, as well as misunderstanding for the unwarranted or even unjust or even derisory motives for such acts. The reaction of the shocked interlocutor is obviously all the more vehement when the epidemic develops in chain, jeopardizing the already unstable bases of the social bond and, beyond, of the bond of civilization.
However, for us, it is neither about defending the castrati against what might be persecution by Tsarist or Communist authorities, nor about succumbing to the emotion aroused by such horrors. It must be said that there is an inversely proportional relationship between the irrational at the base of religious cults and rationalisms, whether socialist or tsarist. As proof, we can say that the avalanche or the awakening of these cults, ideologies and practices closely accompanies the fall of the Soviet fortress. For us, it is above all a question of clinically identifying the structure of this type of macropsychic jouissance.
Castration réelle dans la secte Russe des castrats
Selon les témoignages recueillis par Nicolaï Volkov, la secte Russe des castrats pratiquait la castration et la mutilation d’organes et de muscles à des enfants âgés de neuf, dix ou quatorze ans. Malgré ce fait, l’argument de la servitude volontaire et consciente du sujet avait été avancé pour défendre le bien-fondé de ces pratiques. Prenons alors en considération cette hypothèse.
La mutilation, le suicide ou le meurtre sectataire peuvent convoquer un sentiment de dégoût et de répulsion pour leur caractère violent, aussi bien que de l’incompréhension pour les motifs injustifiés voire injustes ou même dérisoires de tels actes. La réaction de l’interlocuteur choqué est évidemment d’autant plus véhémente lorsque l’épidémie se développe en chaîne, mettant en péril les bases déjà instables du lien social et, au-delà, du lien de civilisation.
Cependant, pour nous, il ne s’agit ni de défendre les castrats contre ce qui pourrait être une persécution des autorités tsaristes ou communistes, ni de succomber devant l’émotion suscitée par de telles horreurs. Il faut dire qu’il y a une relation inversement proportionnelle entre l’irrationnel à la base des cultes religieux et les rationnalismes qu’ils soient socialiste ou tsariste. Comme preuve, on peut indiquer que l’avalanche ou le réveil de ces cultes, idéologies et pratiques accompagne de près la chute de la forteresse soviétique. Pour nous, il s’agit surtout de cerner cliniquement la structure de ce type de jouissance macropsychique.
La Structure clinique
Il est évident qu’un sujet profondément et psychiquement affaibli peut faire partie de la liste des recrutables et des convertis de cette secte, qu’elle possède la capacité de établir un fort lien communautaire entre ses membres et que les rites, les cérémonies et les transes extatiques sont vécues avec l’intensité et le caractère d’une hystérie collective. L’organisation de la secte pourrait nous faire penser à une structure névrotique. Cependant, nous laissons de côté l’hypothèse de la névrose, car on ne peut pas dire que l’on trouve chez les sectataires des traces de culpabilité inconsciente, de remords, ni de séquelles d’angoisse ou de doute. Posons plutôt l’hypothèse selon laquelle la structure du recruté-type, s’il y en a une, ne serait pas névrotique. Si le névrosé est tout imprégné par l’angoisse propre au complexe de castration, les castrats, eux, n’en ont ou ne se font aucun complexe.
S’il y a bien quelque chose qui définit l’organisation collective d’une secte, c’est son type d’identification foncièrement vertical dans le lien affectif et pseudo-filial de chaque adepte au guide spirituel. Tandis que la modalité d’identification horizontale est pervertie, au point de ne représenter qu’un complément d’utilité à la première, car les sectateurs se comportent entre eux, non comme des sujets responsables ou autonomes, mais comme des «frères» ou enfants d’une seule grande famille dépendant d’un seul père qui le peut tout. Le caractère collectif et manifestement a-subjectif de l’expérience fanatique ne doit pas être considéré comme faisant lien social, car il présente simplement une phénoménologie de passion factieuse ou communautariste. En lieu et place du lien social, les sectes ont vocation à faire lien de groupe, de faction, de communauté à part, tout en s’attaquant de front au sein de civilisation. Dans la secte, l’image d’altérité vient faire fonction d’identité. Mais cette image-écran comble bien que mal le rejet préalable à l’admission. La secte s’installe comme une famille fermée en elle-même, une cellule familialiste vivant à la marge de la société et imposant des relations et des rapports de parenté endogamiques. La secte serait ainsi une famille déformée et pervertie car elle ne constitue pas un ensemble intergénérationnel autour d’une seule femme devenue mère et encadré par un chef de famille. La secte constitue plutôt une communauté de « frères » sous la jouissance d’un pseudo-père tout puissant et tyrannique, dans la mesure où il ne dépend lui-même d’aucune loi mais de sa seule volonté.
Le phénomène sectataire ne serait pas ainsi à opposer à une modalité sociopolitique en particulier, mais à toute tentative d’établir, ou de maintenir, les fondements et les principes d’une véritable structure sociale pacificatrice et surtout civilisatrice. La condition principale d’appartenance à la secte est sans doute la dissolution de la subjectivité et de tout désir dans la pure altérité et soumission volontaire. Le sujet doit se dépouiller de ses intérêts, de ses jugements, de ses désirs pour offrir sa révocation, son renoncement et son abnégation au sceau de la volonté de l’Autre ainsi qu’à la passion altruiste, à l’idéologie hypersentimentale qui désormais commandera ses pensées et ses actes. Peut-être sommes-nous, dans ce cas, devant ce que l’on pourrait appeler la destitution subjective psychotique?
D’après les témoignages et les textes en provenance des sectataires, on pourrait penser à une structure psychotique dans la mesure où les propos sont délirants, à thématique mystique et religieuse, et les passages à l’acte, qui sont mutilatoires, suicidaires ou meurtriers, se profilent au seuil de l’admission. Toutefois, le rapport contradictoire entre la féminisation du corps masculin et la neutralisation du corps féminin ne permet pas de parler d’une claire collectivisation du pousse à la Femme, car il ne s’agit pas vraiment de devenir « la femme qui manque aux hommes » (Lacan, 1959, p. 566), selon l’indication lacanienne du délire schrébérien. Selon Lacan, dans ce cas, « ce n’est pas pour être forclos du pénis, mais pour devoir être le phallus que le patient sera voué à devenir une femme » (Lacan, 1959, p. 565).
[La suite de ce texte dans Genrisme et jouissance transidentitaire]
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