German ARCE ROSS. Paris, 2015. Publié le 25 décembre 2015.
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Jouissance identitaire dans la civilisation », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2015.
Civilization and its Identitary Jouissance
From an analysis of the attacks in Paris, from Charlie to Bataclan, I propose in this text a point of view on the mode of jouissance that significantly affects the processes of civilization of the West today.
With the term of identitary jouissance I try to account for three major ideological drifts that are Islamist fanaticism, far right and gender ideology.
In particular, we will analyze the macropsychic processes involved in these three fanatical ideologies.
The questions that have been the basis of our work are as follows. How to situate what is happening in the news? Is it a war of religions? Why choose to tackle Eagles of Death Metal? Why are there so many rockers rather neo-cons? Barbarity is always that of the Other? What is the jouissance of Islamist terrorists? How can we talk about an archaeogenetics in anomic suicide-crime? What can Claude Lévi-Strauss, Claus Offe, Zigmunt Bauman, Norbert Elias and Jacques Gélis teach us for the definition of what I call identitary jouissance? What is the relationship between Islamism, far right and gender ideology? What links between Columbine, Oslo, Utoya, Charlie and Bataclan? Why evoke the identitary confusion of the sexes in David Bowie and his positions for fascism? Will we ever see Islamist, neo-Nazi and sex-identitary terrorists?
Jouissance identitaire dans la civilisation
À partir d’une analyse des attentats de Paris, de Charlie au Bataclan, je vous propose dans ce texte un point de vue sur le mode de jouissance qui affecte considérablement les processus de civilisation de l’Occident aujourd’hui.
Avec le terme de jouissance identitaire j’essaie de rendre compte de trois dérives idéologiques majeures qui sont le fanatisme islamiste, l’extrême droite et l’idéologie du genre.
Nous allons plus précisément analyser les processus macropsychiques qui interviennent dans ces trois idéologies fanatisées.
Les questions qui ont été à la base de notre travail sont les suivantes. Comment situer ce qui se passe dans l’actualité ? S’agit-il d’une guerre de religions ? Pourquoi choisir de s’attaquer aux Eagles of Death Metal ? Pourquoi y a-t-il autant de rockers plutôt neocons ? La barbarie est toujours celle de l’Autre ? Quelle est la jouissance des terroristes islamistes ? En quoi pouvons-nous parler d’une archéogénétique dans le crime-suicide anomique ? Que peuvent nous apprendre Claude Lévi-Strauss, Claus Offe, Zigmunt Bauman, Norbert Elias et Jacques Gélis pour la définition de ce que j’appelle la jouissance identitaire ? Quels rapports entre islamisme, extrême droite et idéologie du genre ? Quels liens entre Columbine, Oslo, Utoya, Charlie et Bataclan ? Pourquoi évoquer la confusion identitaire des sexes chez David Bowie et ses positions pour le fascisme ? Verrons-nous un jour des terroristes islamistes, néonazis et sex-identitaires ?
Sommes-nous devant une guerre de civilisation ?
Deux jours après l’affaire Charlie, je disais qu’on se trompe si on croit que le problème en France et en Europe aujourd’hui réside dans la montée des religions. Car derrière les questions religieuses, il y a plutôt un choc terrible entre deux conceptions de civilisation lesquelles sont inconciliables. Ou alors, faudrait-il dire qu’il y a un choc entre barbarie et civilisation ? Ou encore pire, un choc entre deux barbaries?
La Thèse du choc des civilisations.
Il ne faut pas confondre civilisation avec civilité. La civilité fait référence aux éléments positifs d’une civilisation où le respect, l’apaisement, l’arrangement et les bonnes attitudes envers autrui commandent nos agissements. La civilisation, en revanche, n’est en soi ni laudative ni péjorative. La civilisation est à comprendre comme un ensemble de traits d’identification qui définissent la culture, l’histoire, les origines, les mythes et les légendes appartenant à une communauté de gens qui s’y reconnaissent en s’identifiant. La civilisation est le résultat d’un transmission sociogénétique, historique et géopolitique d’un peuple qui se réunit autour des règles précises, suffisamment stables et repérables, en tant qu’unité culturelle.
Une civilisation peut être ou peut devenir temporairement criminelle et dictatoriale, comme l’Allemagne nazie, la Chine communiste, l’URSS de Staline ou la Corée du Nord, tout en restant malgré tout repérée comme une véritable civilisation. Même en traversant des périodes noires, criminelles, extrêmement dictatoriales, ces pays n’hébergent pas moins des civilisations séculaires. Il peut donc, à ce titre, exister des civilisations primitives, colonisatrices, discriminatoires, tyranniques, impériales et même barbares.
Quelques auteurs ont théorisé — néanmoins, avec partialité — ce qu’ils appellent le choc des civilisations où deux civilisations, irréductibles et exclusives, la chrétienne et la musulmane, s’opposent parfois avec violence. Pour Samuel Huntington, il y aurait un conflit inévitable entre l’Occident et les autres civilisations actuelles, comme la Chinoise ou la Musulmane, dans la mesure où elles sont composées de valeurs incompatibles ou inconciliables avec la nôtre[1]. Bernard Lewis considère, pour sa part, que « toutes les religions proclament que leurs vérités sont universelles ; cependant, le christianisme et l’islam sont peut-être les seuls à proclamer que leurs vérités sont non seulement universelles mais aussi exclusives, qu’eux seuls sont les heureux détenteurs de l’ultime révélation divine, qu’il est de leur devoir de la faire connaître au reste de l’humanité et que ceux qui ne s’y rallient pas sont, à des degrés divers, promis à la damnation »[2]. Également, selon le controversé Christopher Caldwell, les européens ont développé un sentiment de culpabilité lié à l’Holocauste qui s’est rapidement modifié en anti-racisme. Et, suite aux vagues d’immigration économique depuis les années 70, les principaux bénéficiaires de cette idéologie automoraliste et autopunitive auraient été les musulmans[3]. Martin Woollacott reprend l’idée de Caldwell en ces termes : « immigration, [Caldwell] says, and above all Muslim immigration, has planted in the heart of a weak and confused civilisation communities, rapidly growing in number, that have already changed Europe to suit their needs and beliefs. And the chances are, he insists, that in the future we will bend to their will rather than that they will bend to ours »[4].
Il faudrait sans doute établir une distinction entre religion musulmane, civilisation musulmane et islamisme extrême pour se rendre compte que les jeunes maghrébins issus de l’immigration peuvent se sentir très perdus dans tout cela, surtout si on ajoute la question de leur intégration presque impossible à des valeurs occidentales qui deviennent floues et contradictoires.
Mais nous ne sommes pas obligés de croire à la théorie selon laquelle les religions, notamment la musulmane, soient forcément violentes. Ni que la source des attentats contre Charlie ou le Bataclan soit vraiment le résultat d’une guerre de religions, ou d’un choc de civilisations tel que nous venons de le voir.
Le Profil des terroristes islamistes néoconvertis.
Bien qu’ils aient été commis sur une thématique dite religieuse, l’une des preuves que les attentats de Paris n’impliquent pas directement ou pas vraiment la religion musulmane, c’est ce que dit le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) sur le profil sociologique du candidat à terroriste. Selon le CPDSI, « contrairement à une idée reçue, les recrues de l’islam radical ne se trouvent pas en majorité dans des familles musulmanes très pratiquantes : 80%, des familles ayant affaire au CPDSI se déclarent athées et seules 10% comportent un grand-parent immigré »[5]. Le rapport du CPDSI souligne que le recrutement se fait dans un milieu instruit, plutôt de classe moyenne, avec une forte représentation des milieux enseignants et éducatifs ; que 40% de ces jeunes ont connu la dépression, sont hypersensibles ou plutôt psychologiquement fragiles ; mais surtout qu’il s’agit de « jeunes gens qui souhaitent combattre [ou qui sont en] quête de toute puissance attirant des personnes “sans limites” ».[6]
Également, selon l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), 67% des jeunes candidats au djihad sont issus des classes moyennes, 17% sont même issus de catégories socioprofessionnelles supérieures[7]. Et Romain Caillet affirme que « le courant djihadiste compte quelques milliers d’adeptes au maximum. On évoque parfois le chiffre de 5.000 personnes. Mais attention, sur cette population, on estime que seulement un sur dix a véritablement la volonté de passer à l’acte »[8]. C’est donc surtout ce 10% des convertis djihadistes qui nous intéresse.
Une autre étude (journalistique) sur le profil des terroristes passant à l’acte indique qu’il s’agit de jeunes plutôt trentenaires, ayant eu un contexte familial instable ou compliqué, une scolarité difficile, des emplois peu qualifiés ou au chômage et surtout que « la majorité d’entre eux a été impliquée dans des délits de droit commun »[9].
Ces travaux montrent que les sources du fanatisme islamiste ne sont pas à chercher dans la religion musulmane, mais dans les cas particuliers, assez répandus toutefois. Il s’agit de jeunes immigrés de deuxième ou troisième génération, en rupture de lien social y compris familiale, sans repères et sans limites confrontés à une jouissance qu’ils ne peuvent pas maîtriser. Il se trouve qu’ils « ne veulent ni de la culture de leurs parents ni d’une culture “occidentale”, devenues symbole de leur haine de soi »[10]. Cette béance interculturelle, ou plutôt a-culturelle, se trouve à la base d’une jouissance anomique et omnipotente où le passage à l’acte est son horizon de satisfaction. Mais avant cela, cette jouissance de rupture se manifeste par des troubles de l’identité culturelle, chômage, marginalisation, chute ou pornographisation du désir sexuel, petite délinquance, trafic de drogues ainsi qu’un besoin irrépressible de croire à quelque chose, d’où le terrain psychique fertile pour la conversion à une idéologie forte et hautement jouissive.
Guerre aux processus de civilisation occidentale.
Nous n’avons pas besoin de nous appuyer sur l’idée du choc des civilisations, ou de guerre de religions, tel que Huntington, Lewis ou Caldwell en parlent, mais plutôt selon les termes de Norbert Elias sur une attaque non seulement des autres (islamistes) mais aussi de nous-mêmes contre les processus de civilisation[11] de l’Occident. Ceux-ci peuvent être positifs ou négatifs (sans aucun jugement de valeur a priori) et existent en dehors d’une opposition entre civilisation chrétienne et civilisation musulmane par exemple.
Pour Norbert Elias, « ce qui fait du processus de la civilisation en Occident un phénomène singulier et unique en son genre […] qu’on n’en trouve pas d’autre exemple dans toute l’histoire de l’humanité [est] la division des fonctions »[12], ainsi que, je dirais tout en suivant sa théorie, l’existence d’une barrière de phobie normale à ne pas dépasser. Le problème est que depuis 50 ans il y a en Occident une diminution constante et impressionnante des mécanismes qui permettent l’autocontrainte et l’autocontrôle des pulsions, au sens de Max Weber et de Sigmund Freud. Nous avons perdu considérablement cette capacité civilisatrice signalée par Norbert Elias et sommes devenus très faibles sur cet aspect. D’autant plus qu’en compensation, des nouvelles formes de jouissance ont vu le jour, venant à la place de la diminution de l’autocontrainte et de l’autocontrôle.
Maintenant, supposons que le terme civilisation comporte seulement une valeur laudative. Dans ce cas, lesdits “barbares” ne représenteraient aucune civilisation, ce qui resterait néanmoins à démontrer. Et, même si les terroristes islamistes ne constituaient pas une civilisation, il faut bien se rendre à l’évidence qu’ils n’attaquent pas l’Occident pour avoir la liberté ou le pétrole ou l’indépendance ou le progrès. Ils s’attaquent bien à nos valeurs de civilisation pour les “rectifier” selon leur fanatisme idéologique. Comme le dit Pascal Bruckner, « c’est notre civilisation, ouverte, tolérante et libérale que les kamikazes veulent détruire »[13]. Car, faut-il ajouter, ils sont intimement persuadés de lutter pour une juste cause.
Si nous prenons les deux raisons des terroristes, avancées dans le communiqué de Daech pour justifier l’attaque, nous pouvons vérifier que l’une d’elles se réfère justement à cette question de la présence d’une barbarie jouissive dans la civilisation occidentale.[14] Nous devons lire ce document en choisissant, pourquoi pas, de croire que ce texte représente bien la vérité des islamistes. D’une part, ils reprochent à la France son action militaire en Irak et en Syrie. Mais, d’autre part, ils reprochent aussi à la France de construire une société en décadence et remplie, selon leurs mots, de « perversité ». Je pense qu’ils voulaient dire plutôt “perversion” et cela voudrait dire que les terroristes se posent d’emblée comme de sévères moralistes convaincus d’avoir affaire à une civilisation en perdition.
Nous nous interrogeons alors sur le choix, probablement délibéré, des terroristes de s’attaquer à des espaces spécifiques de la vie sociale et à des secteurs déterminés de la population qui auraient un sens symbolique. Le match France-Allemagne, à Saint Denis, réunissait les deux grands pays Européens qui luttent contre Daech. Mais ils se sont attaqués aussi à des bars, à des restaurants et à un théâtre fréquentés par une jeunesse supposée être en accord avec des identités liées à ce qui serait la barbarie jouissive de l’Occident.
Pourquoi choisir de s’attaquer aux Eagles of Death Metal ?
Eagles of Death Metal (EoDM) est un groupe américain de stoner rock développant cependant un stoner qui mélange légèrement les tonalités parfois doom metal, heavy rock, heavy blues, punk rock et même un soupçon de new wave. Très connu pour son utilisation dans des publicités pour Microsoft et Nike, EoDM a perdu cependant les tonalités un peu psychédéliques, un peu hypnotiques, appartenant au desert rock de l’ancien Kyuss, son prédécesseur. N’étant ni vraiment peace and love, malgré ses références à la marshmallow music du groupe Eagles, ni vraiment metal, malgré son inspiration tirée du britannique Black Sabbath, initiateur du genre heavy metal, EoDM véhicule ironiquement — c’est-à-dire, sans véritable apologie — des images délicieusement satanistes et évoque, sans ambages et avec provocation, des perversions comme le sadomasochisme.
On pourra lire la suite de ce texte dans le livre Jouissance identitaire dans la civilisation
German ARCE ROSS. Paris, 2015.
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20/01/2016 at 18:23
Quels rapports peuvent exister entre les signes linguistiques PIE, les protosignifiants et les facteurs blancs ?
Dans mon texte sur la jouissance identitaire, je ne m’intéresse ni à l’arborescence linguistique indo-européenne, occidentale ou judéo-chrétienne stricto sensu, si on veut bien l’appeler comme ça, ni à son tronc commun. Ce qui m’intéresse ce sont les travaux de Bickerton mais surtout de Renfrew, lesquels, partant d’une étude des signes linguistiques dits Proto-Indo-Européens (PIE), cherchent à identifier de façon relative la transition entre protolangage lato sensu et langage. Ce qui m’intéresse ce sont ainsi les racines du langage que ce soit en termes de signes spécifiquement PIE ou de protosignifiants en général. À ce propos, plusieurs questions se posent.
Quel était l’état psychique de l’anthropoïde dans les temps mythiques du protolangage (signes PIE ou autres) ? Qu’est-ce qui permet la transition du protolangage (signes PIE ou autres) au langage ? À quel moment on peut parler de sacré et à quoi cela sert ? Comment situer les éléments psychiques anthropoïdes, en termes de protolangage, qui sommeilleraient encore aujourd’hui chez l’homme moderne ? Pouvons-nous déduire que les vestiges psychiquement fossilisés des protosignfiiants réapparaissent, ou sont réactualisés, dans les cas où la civilisation traverse des phases critiques d’anomie ?
Il me semble que les signes PIE et les protosignifiants en général auraient un lien très fort avec ce que j’appelle les facteurs blancs qui sont à l’ouvre dans les passages à l’acte, tels que les crimes et les suicides altruistes ou maniaco-dépressifs. Pendant longtemps, avant de formaliser les facteurs blancs, j’ai pensé que la dualité entre signifiant et objet a ne suffisait pas pour rendre compte de l’émergence d’actes violents ou d’autres actions fuyant le discours. Et pendant longtemps, je me suis aussi aperçu qu’on ne pouvait situer les facteurs blancs — en tant qu’ils représentent des espaces vides de la chaîne signifiante — ni tout à fait dans le domaine strict des signifiants ni non plus dans celui de l’objet a. C’est de là qu’une réflexion sur les protosignifiants s’en est dégagée. Et j’ai commencé à établir une combinaison entre ce qu’a dit un psychiatre comme René Digo sur l’acte et le langage avec ce qu’avance un Maurice Blondel sur la solution négative au problème de l’action, et en ajoutant aussi bien d’autres travaux sur ces questions.
L’une des idées principales serait de savoir à quel point les actions qu’un homme accomplit agissent sur lui, bien plus qu’il n’agit sur elles, et, également, à partir de quel seuil elles le divisent dans un inévitable moment de rupture. C’est ainsi que le protosignifiant — en tant qu’action sur l’homme — peut être considéré comme le précurseur du sacré, mais d’un sacré qui n’est pas en soi forcément religieux. Il ne le sera que bien plus tard, lorsque le cultuel mènera l’action de l’homme jusqu’à faire émerger la valeur subjective et collective du sacrifice. Mais en termes de protosignifiant, le sacré peut être tout simplement pensé comme cette limite posée par le réel ainsi que par l’action de l’anthropoïde sur lui. Il s’agit du sacré protolinguistique en tant qu’il est une limite qui arrête l’anthropoïde dans une action que, vue de l’extérieur ou par rétroaction, peut être conçue comme violente ou mal venue.
Le sacré apporte à l’anthropoïde une division subjective, la première, qui a l’air de venir de l’extérieur, de la même façon qu’il pense à l’extérieur de lui et de la même manière qu’il n’a pas conscience de l’affect qui agit à l’intérieur de lui. Affectio peut être, au départ, tout simplement une pierre. Ainsi, si l’anthropoïde est par exemple habitué à penser non pas avec des mots mais avec des pierres, ou plutôt avec ses actions sur les pierres, ces mêmes pierres, ces mêmes actions sur les pierres, pourront représenter ses affects. De la pierre-mot né l’affect qui le divise et le rend sujet.
Et je vous propose de considérer qu’il y a aussi un statut du protosignifiant en tant que vestige fossilisé de l’anthropoïde chez l’homme actuel, mais seulement chez celui qui “s’anomise”, ou qui est victime directe de l’anomie actuelle. C’est pour cela qu’il n’est pas suffisant de parler du terrorisme étranger (islamiste), mais qu’il faut ajouter les deux autres versions de la barbarie occidentale qui sont l’extrême droite (raciste) et l’idéologie sex-identitaire (genriste). Dans ces trois cas d’anomie, le protosignifiant refait surface de diverses façons.
Involontairement, Daech rejoint le segment sex-identitaire de la civilisation occidentale, dans le sens où il opère un traitement très particulier, et pour tout dire totalitaire et assez souvent violent, de la féminité, de la maternité et de la paternité, du mariage et de la sexualité, de la sexuation et de la différence des sexes. À cet égard, le terroriste islamiste s’attaque au sacré de la maternité lorsqu’un terroriste tue sa propre mère ou lorsqu’une policière de Daech tue une femme qui allaite son enfant. Ou encore lorsqu’il appelle les hordes fanatisées à abuser sexuellement et à violer des femmes dans les gares européennes. Nous voyons donc déjà, chez eux, une version barbare et criminelle des questions appartenant aux idéologies identitaires de genre.
Et dans notre civilisation, on s’attaque au sacré de la maternité et au sacré de la paternité, comme aussi bien à la féminité et à la différence sexuelle de mille façons, dans une violence, apparemment douce et teintée de discours “progressistes” ou “évolutionnistes”, mais qui est à sa façon également barbare. D’abord, de manière purement idéologique comme le disait, par exemple, un représentant de l’État, lorsqu’il tentait d’« arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ». En l’occurrence, j’imagine que l’auteur de ces propos était tout à fait bien intentionné lorsqu’il a prononcé ces idées. Cependant, je suppose qu’il ne s’imaginait pas qu’arracher l’enfant à ses racines serait le rendre vulnérable pour n’importe quelle manipulation idéologique et que, en outre, ce serait la porte ouverte pour une sorte de totalitarisme inconscient que j’appelle du nom de jouissance identitaire.
Mais on s’attaque aussi de façon réelle lorsqu’on exécute des opérations chirurgicales pour qu’on homme qui se “croit” ou qui se “sent” de l’Autre sexe ait l’air d’être une femme par exemple. Comme si le fait d’appartenir à un sexe ou à un autre pouvait être un “choix” et comme si ce “choix” anomique passait par une “croyance” ou par un “sentiment”. Nous voyons là les questions liés à la croyance de conversion parareligieuse dont je parle dans le texte en question.
Également, les viols en collectivité, les “mariages” pédophiles ou les films porno sur les viols…, ne sont pas des moeurs exclusives des barbares islamistes. Elles existent malheureusement dans notre propre civilisation, avec souvent un involontaire appui idéologique et théorique en augmentation lequel se construit depuis les années 60. Cette idéologie genriste, auto-proclamée subversive et prétendument scientifique mais au fond purement identitaire, est naïvement cautionnée y compris par des universitaires (américains surtout et, depuis peu, par des européens aussi).
En résumé, les images, ou les témoignages, en provenance de Daech nous montrent, en miroir opaque, l’horreur qui pourrait être ou qui est déjà la nôtre. Les vestiges fossilisés refont également surface en Occident, comme si la civilisation moderne et dite laïque n’avait pas grand chose d’autre à proposer, en termes de valeurs de civilisation, qu’un amas de confusion éthique et de jouissance identitaire.