German ARCE ROSS, Paris, le 6 novembre 2014.
Interview accordée aux étudiants de Master en Journalisme à Sciences Po Paris.
En répondant à la question de savoir si la fessée peut être nécessaire dans l’éducation à l’intérieur des familles, nous profitons de l’occasion pour traiter ici de la fonction du père dans les processus de civilisation de l’enfant aujourd’hui.
Nous vivons dans une société qui tout au long du XXème siècle a, d’abord, maltraité ses enfants mais, ensuite, également la famille dans son ensemble et, plus particulièrement, la transmission parents-enfants. En tout cas, elle a maltraitée durablement les relations inter-générationnelles qui sont nécessaires pour la transmission des processus de civilisation. Pour satisfaire les dogmes presque religieux des marxistes et d’autres idéologues “contre-culture”, pendant les années 70, on a voulu tuer la famille considérée, à tort, comme étant l’un des “appareils idéologiques“ de domination. Aujourd’hui, on peut dire qu’une telle mise à mort est presque accomplie si l’on se réfère au déclin absolu de la fonction paternelle, à la forclusion du désir de la mère et aux addictions de toute sorte ainsi qu’aux symptômes masochistes chez certains enfants, adolescents et jeunes de notre époque.
À la suite d’une progression soutenue de ces graves altérations sociales et psychiques, nous nous trouvons avec une société qui souffre d’une très profonde crise de l’autorité, d’une dévalorisation du respect pour autrui et d’une confusion des valeurs de civilisation. Cela dit, cette crise n’atteint pas tout le monde de façon uniforme, mais elle est vécue seulement en fonction des “communautés d’identité” auxquelles il est néanmoins presque obligatoire d’appartenir. Finies les “classes sociales”, maintenant ce sont les “communautés d’identité”, plus que les familles où l’on est né, qui représentent le mieux ce à quoi on est censé appartenir, souvent bien malgré soi.
Devant cet état de fait, nous observons depuis de décennies deux phénomènes opposés et extrêmes qui semblent pourtant secrètement corrélés l’un à l’autre.
Ainsi, premièrement, il y a des cas, rares, mais malheureusement bien réels et qui semblent assez fréquents depuis quelque temps, d’une extrême violence envers les enfants. Ces cas, dont certains deviennent des faits divers, vont de l’infanticide juste après la naissance (sorte d’avortement tardif) jusqu’aux crimes altruistes (où un parent se suicide après avoir tué ses propres enfants). Mais aussi il arrive parfois des situations familiales d’une extrême détresse où les enfants sont l’objet de violences impressionnantes et difficiles d’expliquer. C’était, par exemple, le cas de Johnny dont le procès de ses parents, surtout la mère, a eu lieu en 1999, devant la Cour d’Assises d’Epinal, avec grand bruit et une immense émotion collective.
Cette “famille” (si on ose la définir ainsi) vivait, selon le chroniqueur judiciaire Jean-Michel Daumay, dans un univers pervers « tenant du matriarcat » (cf. Le Monde, novembre 1999). À l’âge de quatre ans, Johnny recevait quotidiennement surtout de la part de sa mère, une femme extrêmement violente et à la personnalité « à connotation perverse », « gifles, coups de pieds et de poings, au ventre, au dos, aux jambes, au visage. Parfois, des objets étaient utilisés : martinet, chaussons, passoires ou casseroles. […] Il n’avait ni lit, ni couvertures, ni draps, mais un carré de mousse en guise de matelas. Il n’avait pas droit au petit-dejeuner et à la viande, mangeait debout, sans assiette, et était parfois privé des autres repas. […] On le forçait à avaler tout un pot de confiture ou une dose de Ricard pur, ou encore à passer toute la journée, debout, dans un cagibi obscur, dans la grange, attaché à un poteau, agenouillé dans la salle à manger, dans la cage à poules, arrosé par un jet d’eau, ou dans la porcherie, en pyjama et chaussons, avec les cochons. […] On l’insultait, on le traitait de “bâtard”, de “saloperie sans couilles”. On le menaçait aussi de lui “couper le zizi”… » (cf. Le Monde du 30 septembre 1999).
Sandra, sa mère violente et à la limite de l’infanticide, était la fille de son oncle qui lui avait imposé des actes sexuels dès l’âge de 13 ans. Elle était aussi sévèrement punie par sa propre mère. Et avait grandi dans cette ambiance complètement fermée en elle-même où se succédaient ce que j’appelle les événements trans-limites, dans une totale confusion des liens de parenté et où manquait terriblement la figure d’un père pacificateur.
En termes psychiques, ce dont Johnny a pu aussi souffrir peut être bien l’absence d’un sens réel de la punition, c’est-à-dire que ces actes ne l’aidaient ni à recevoir ni à l’élaborer la signification d’un interdit qui pourrait lui servir plus tard à maîtriser ses propres pulsions agressives. Bien au contraire, les violences ne servaient qu’à assouvir le règne du matriarcat pervers et à relancer en permanence et en circuit fermé une position perplexe devant le monstrueux, sorte de revanche contre le destin si affreux de sa mère. De ce clan sans ordre générationnel ni totems ni tabous, le père avait été évacué depuis longtemps.
Cependant, deuxièmement, à l’opposé de ces actes d’extrême violence contre les enfants, il est impressionnant de constater également un mode de relation parents-enfants, très largement répandu chez les parents de la société occidentale, où prime l’éducation hyper-permissive dans laquelle est pratiquement absente l’autorité parentale. À savoir que des gestes tout simples comme les punitions et surtout les interdits, figurés autrefois par la fessée, sont incompréhensible mais progressivement rejetés voir même presque pénalisés. Les pères pots-modernes jouent plus à la double mère, au père trop gentil voire au parent passif, ils jouent plus à l’ami égalitaire, plutôt qu’à représenter la référence d’autorité pour l’exercice de la Loi symbolique et s’interdisent eux-mêmes, par dessus tout, de dire “non“ à leurs enfants.
Dans ces cas, même s’ils se trouvent à l’extrême opposé de cas comme celui de la “famille” de Johnnny, on y perçoit également une faillite très dangereuse des liens pacificateurs et de l’assomption des valeurs de civilisation. Dans ces cas, ce ne sont pas les parents qui frappent, mais ce sont les enfants, adolescents ou jeunes qui se violentent eux-mêmes, violent, tuent ou se suicident, comme s’ils étaient à la recherche désespérée de quelque chose ou de quelqu’un qui vienne signifier un “non” d’autorité.
En effet, les pères ont cessé d’être pères pour devenir tout simplement “parents”, c’est-à-dire une identité idéologiquement construite pour supprimer l’autorité et la transmission des valeurs de civilisation. Faute de vrais pères et de mères normalement désirantes, les enfants se trouvent en présence d’autres adultes qui sont censés jouer désormais les agents des processus de civilisation. Ceux-ci se effectuent donc à l’extérieur de l’Oedipe dans ce magma “familial” qui est devenu presque un démenti sociétal de la castration, un démenti dangereux des complexes trans-générationnels.
German ARCE ROSS, Paris, le 6 novembre 2014.
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