German ARCE ROSS. Paris, octobre 2011.
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Les Suppléances ratées chez Marilyn Monroe », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2011.
Nous voulons étudier ici le phénomène de la fuite des événements ayant lieu lors de la période qui précède l’acte suicidaire et qui signe le ratage des suppléances dans le cas de Marilyn Monroe. Ces suppléances se seraient construites à partir de trois éléments principaux. En premier lieu, l’extrême valorisation, à teneur symbolique, de son image corporelle. Ensuite, la recherche, plus ou moins réussie, plus ou moins pathétique et tragique, de substituts paternels qui la poussent à créer des ruptures dans l’expérience amoureuse. Finalement, son obstination pour se faire une place dans la création artistique dramatique. Nous allons donc étudier le ratage des suppléances dans ces trois domaines.
Marilyn Monroe, dont le nom d’emprunt est une construction supplétive pour Norma Jeane Mortensen, très efficace pour le cinéma mais néfaste pour sa stabilisation psychique, est une femme pratiquement dépourvue de complexes familiaux. Le père est resté inconnu y compris pour la propre mère de Norma Jeane. Et la mère, profondément absente, irrémédiablement angoissée, perdue dans l’existence, psychotique et lourdement psychiatrisée, était très probablement maniaco-dépressive. Ce noyau parents-enfant correspond à la présence renouvelée d’une pathologie inter-générationnelle assez ancienne : « du côté maternel, un arrière-grand-père suicidé, un grand-père mort fou, une grand-mère cyclothymique, alcoolique et maniaco-dépressive » [1].
Cette jeune fille, à l’allure ingrate, mal aimée, malheureuse, délaissée, sans enfance, à l’air timide et ayant une tendance à se raconter des histoires imaginaires, a subi une douzaine de séjours en famille d’accueil, plus ou moins négatifs, plus ou moins cadrants, mais tous assez froids et durs. Elle a même compté, vers l’âge de 12 ans, avec une mère de substitution, “tante” Anne Lower, assez âgée et pauvre, mais aimante et très structurante psychiquement. C’est peut-être cela qui l’a aidée à ne pas sombrer tout de suite, ni totalement, dans la psychose.
Pour pouvoir établir un diagnostic, nous pouvons nous référer aux troubles et symptômes suivants :
— contexte dépressif majeur alternant avec des moments d’excellence cinématographique, éphémères et fuyants, presque maniaques ;
— des idées délirantes, quoique passagères, principalement de mort mais aussi à tonalité paranoïaque, jalouse, mégalomane, mythomane et passionnelle ;
— auto-accusations, auto-reproches, négativisme, hypocondrie morale, crises soudaines de colère, sentiment d’être déjà vieille, hyper-sensibilité non-justifiée, aboulie, apathie ;
— événements de corps, tels que troubles graves de la conduite alimentaire, troubles insurmontables du sommeil ;
— importantes angoisses phobiques d’abandon et surtout des angoisses altruistes de mort (au sujet d’animaux qu’on amène à l’abattoir par exemple[2]) qui semblent ne pas avoir été suffisamment symbolisées ni efficacement canalisées ;
— clair penchant vers le suicide ayant trouvé traduction dans des multiples tentatives avérées (la plupart par ingestion de médicaments et alcool) ;
— répétition inconsciente d’événements de perte (avortements, abandons, ruptures amoureuses, sociales et professionnelles, divorces) qui semblent ne pas produire de véritables processus de deuil, mais dont la teneur pathologique reste à déterminer.
La difficulté de départ pour situer Marilyn comme psychotique tient cependant au fait qu’il n’y avait, chez elle, au moins pendant très longtemps, ni véritable délire systématisé ni des hallucinations avérées. Par ailleurs, au niveau des pathologies de l’agir, nous ne trouvons pas non plus de véritables passages à l’acte (sauf quelques tentatives de suicide). Il nous reste, alors, à nous interroger du côté des événements inter-subjectifs et notamment de la fuite des événements[3]. À cet égard, justement, étant très irritable, asociale, désabusée, toujours en retard, vaniteuse, injuste, sévère, tyrannique, hyper-exigeante et capricieuse, Marilyn présentait d’énormes difficultés dans ses relations aux autres. Considérée « maniaco-dépressive » par son médecin le Dr Hyman Engelberg[4], « plus que bipolaire » d’ailleurs, dans le sens où, selon lui, le premier terme serait plus adéquat pour décrire ses problèmes émotionnels, et, qu’elle ait été assassinée ou pas, l’essentiel pour compléter le tableau de Marilyn Monroe est qu’elle était irrémédiablement lancée dans un projet suicidaire inconscient[5]. Comme si la part psychotique de son histoire avait eu le dessus. Nous pouvons alors soutenir l’idée que sa psychopathologie, aux accents pseudo-névrotiques, s’était construite sur des suppléances nécessaires pour calmer sa part psychotique maniaco-dépressive qui ont cependant raté leur but.
Valorisation extrême de l’image corporelle
Comme beaucoup de maniaco-dépressifs, Marilyn avait énormément besoin d’une création substitutive pour colmater, tant bien que mal, les failles profondes de son existence. Ce socle, tentant suppléer l’extrême fragilité de sa personnalité, se situe dans le travail de création photographique et cinématographique qui prend comme objet principal l’image de son propre corps. Ainsi, elle devient non pas seulement sujet, mais aussi et surtout objet de sa création. Et c’est peut-être cela qui lui sera fatal.
On trouvera la suite de ce texte in: La Fuite des événements. Les Angoisses altruistes dans les suicides maniaco-dépressifs.
German ARCE ROSS. Paris, octobre 2011.
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