German ARCE ROSS. Paris, septembre 2013.
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Le Wall de Roger Waters et le Pink Pig de George Orwell », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2013.
Roger Waters’ Wall and George Orwell’s Pink Pig
Having always lived without a father, Roger Waters pushed to the last consequences, happily creative and successful, the original trauma. A trauma having occurred afterwards, it must be said, because at the time when it happened, he could not be aware of it.
But a trauma lived mostly in, and through, the maternal universe. A father dead at war, when the child was not even a year old! Hard, it’s clear; serious, this lack of father; but not insurmountable. Why ? Because, although the real father has always been absent, the symbolic father has played thoroughly in the wall of protection created by the mother.
Le Wall de Roger Waters et le Pink Pig de George Orwell
Ayant depuis toujours vécu sans père, Roger Waters a poussé jusqu’aux dernières conséquences, heureusement créatives et réussies, le traumatisme d’origine. Un traumatisme ayant eu lieu après-coup, il faut bien le dire, car, au moment où cela s’est produit, il ne pouvait pas en avoir conscience.
Mais un traumatisme vécu surtout dans, et par, l’univers maternel. Un père mort à la guerre, alors que l’enfant n’avait même pas un an ! Dur, c’est clair ; grave, ce manque de père ; mais pas insurmontable. Pourquoi ? Parce que, bien que le père réel ait toujours été absent, le père symbolique a joué à fond dans le wall de protection créé par la mère.
Nous sommes là néanmoins devant un deuil pathologique bien particulier. Lorsque l’événement de perte a eu lieu, il n’a pas pu vraiment toucher le sujet car il était trop petit pour avoir la perception et effectuer l’encodage. Si ce n’était que lui, l’onde choc de l’événement de perte n’aurait pu le toucher affectivement que quelques années plus tard, lorsque l’enfant pouvait enfin avoir conscience de l’existence des pères pour les autres et pour lui-même. Sauf que, dans ce cas-là, comme il y a eu une diachronie très importante entre l’événement de perte et la valeur affective de l’absence permanente, le deuil ne pouvait prendre que la forme d’une nostalgie diffuse, sans objet clairement défini.
Mais ce cas de figure n’est pas toutefois complètement valable dans le cas de Roger Waters. Car, dès la perte du père, qu’il en ait eu conscience ou non, le tout petit enfant était sans doute en intime relation avec l’objet de la perte, avec l’événement de perte ainsi qu’avec la valeur de perte pulsant chez la mère, avec laquelle d’ailleurs il paraît avoir vécu en intense symbiose. De cette façon, l’enfant vit sans détours un deuil qui ne lui appartient pas.
C’est de là, de cette enceinte maternelle, qui entoure et enferme l’enfant, que se définira le brain damage vécu lors de sa plus précoce enfance : « and if the dam breaks open many years too soon, and if there is no room upon the hill, and if your head explodes with dark forbodings too, I’ll see you in the dark side of the moon »… Il vit le deuil pathologique et parasitaire de la mère, concernant la perte du mari et père de l’enfant, à travers le wall de sur-protection qu’elle a créé autour de lui, ne lui laissant que le dark side, domaine de l’ombre laissée par le père, pour s’exprimer. Du coup, ce wall représente désormais, et pour toujours, le père irrémédiablement absent. C’est ainsi, par ce même mouvement, que le deuil pathologique chez la mère produira chez l’enfant peurs et angoisses. And, fear builds walls !
Cependant, malgré ou grâce à ces raisons-là, on est surpris par le concert exceptionnel de Roger Waters, à Paris : le Wall Live 2013. Un wall qui occupait toute la largeur possible du Stade de France et qui, petit à petit, se refermait, s’interposait complètement entre les musiciens et les spectateurs ! De cette façon, on se trouvait, à l’intermission, devant un mur immense devenu un écran total pour l’ensemble des messages nécessaires à cette sorte de théâtre rock en guise de big film musical. Mais le wall n’était pas le seul espace vidéo. L’espace aérien du stade était également survolé par des avions et surtout par un cochon sauvage jouant le rôle d’un personnage composite et très détesté.
Sous la forme, on est définitivement devant une nouvelle manière de présenter les concerts rock, qui se profilait déjà, il y a plus de 20 ans dans les concerts de Pink Floyd, ou plutôt de Roger Waters, notamment lors de la tournée The Pros and Cons of Hitch Hiking (en 1984, année fameuse, déjà suffisamment citée et prévue à l’époque).
En effet, le Wall Live se referme progressivement rempli de messages critiques, selon un esprit orwellien. C’est-à-dire contre les idéologies mensongères du XXème siècle qui se présentèrent comme autant des voies de « libération », mais dont il faut se méfier comme de la peste. L’équation : national socialisme — national-communisme — fascisme-international — capitalisme-sauvage est mise en lien avec les efforts hypocrites de ses représentants le plus éminents pour les guerres de “libération”.
Cela devrait prémunir la nouvelle jeunesse contre d’autres idéologies de “libération” qui, comme d’autres avant, ne font que manipuler les consciences pour mieux maîtriser et asseoir leur pouvoir. Ces idéologies très puissantes, car constituées en lobbies bien organisés, se substituent aujourd’hui aux états ou aux anciens partis pour recommencer une nouvelle ère de domination, en faisant appel encore une fois à la “libre” adhésion des gens. Méfiance, donc, contre les marchands de “révolutions”.
Heureusement toutefois, il y en a qui résistent, comme ils peuvent, à devenir un mouton de plus devant ces tendances modales, “sociétales”, infernales. Mais sans dériver non plus dans la schizophrénie radicale, psychédélique et sans rémission possible d’un Syd Barrett. Du coup, plusieurs questions nous assaillent.
Comment peut-il croire plus tard à la libération idéologique, un enfant ayant perdu son père alors qu’il n’avait même pas un an ? Comment peut-il suivre les modes et les perversions “sociétales” un jeune ayant construit un mur autour de lui ? Comment peut-il avoir la réelle conviction, et non pas seulement la croyance, qu’une véritable réalisation personnelle ne peut venir que de l’intérieur de soi et non pas, par exemple, de la surprotection maternelle ? Comment a-t-il fait pour rester créatif, malgré tout ?
Un moment fort est celui où le mur devient, non pas seulement une enceinte de protection et surtout d’enfermement, de défense, d’isolément, de discrimination, un terrible seuil insolent et violent de profonde ségrégation, mais également un écran pour une multitude de projections. En effet, la surface du mur devient une sorte de miroir opaque, mais profond et à intense relief, pour les projections d’un moi multiple qui se pense comme il croit être. Ou comme il croit rêver, selon les échos et les ombres de sa fébrile aspiration à la liberté de l’être, tel un esclave en proie au mur de la caverne platonicienne. Par exemple, sont projetés en mosaïque une foule de photos de pères disparus, de pères morts dans la guerre, ou du fait du terrorisme, voire de pères revenus après une longue absence.
Vis-à-vis de cela contrastent les signes, les emblèmes et les symboles de la contrainte bureaucratique, militariste, noire ou rouge, noire et rouge, Big Brother ou Camarade the Pig, Petite moustache ou Menton impérial, Grand discours ou Livre rouge. Ainsi, on voit se combiner les insignes de la faucille et du marteau avec la svastika dans un seul emblème : deux marteaux croisés, en noir et rouge, sur fond blanc et noir. Il y a là les insignes du travail manuel, de l’ordre strict, de la force sans appel, de la contrainte sans révolte…, mais élevés à la dignité d’une valeur, plus que religieuse, presque ésotérique. Les totalitarismes se posent toujours comme des équivalents substitutifs de la religion. Ils commencent comme des idéologies pour la liberté et finissent en total asservissement de l’humanité par une minorité de fonctionnaires privilégiés et corrompus.
Pour cela, avant de nous méfier des milices ou des guerres, commençons déjà par nous méfier des idéologies qui, mine de rien au début, les supposent, les justifient et les impulsent. Aujourd’hui, ces idéologies ne vivent pas selon le mythe de la lutte des classes, mais plutôt selon le nouveau mythe de l’existence de communautés d’appartenance. Elles n’indiquent plus, comme naguère, un ennemi commun, mais bien au contraire des ennemis multiples, favorisant ainsi une division impressionnante à l’intérieur de l’uniformisation mondialisée des actes et des tendances.
Ce mouvement planétaire et sur-laïque se pose comme une nouvelle “religion”, avec ses propres cultes fétichistes et ses “messes” collectives, quoique sans Dieu personnifié, et devient hyper fanatisé par une raison pratique et efficacement consensuelle. La nouvelle “religion” laïque est l’idéologie elle-même. Une idéologie qui est à écrire ainsi : iDeoLogie, où l’Idée devient un Dieu, mais un iDieu, c’est-à-dire un Dieu qui n’existerait que pour “moi”, un Dieu individualisé, individualiste et marchand. Alors, par le terme iTheoLogy je voudrais signifier que le verbe rationnel pratique a été un peu trop incarné, presque religieusement, de façon ésotérique, dans le Moi mondialisé, comme si cela était dicté par les valeurs et convictions d’une sorte de secte reconnue enfin officiellement. Attention cependant à vous rendre bien compte que les idéologies ne sont que les pensées et les intentions du cochon d’Orwell.
Le personnage du cochon, celui que l’on connaît si bien dans la Ferme des animaux, de George Orwell, beaucoup plus grossier que simplement gros, intrusif, imposant et rempli de tous les symboles de ces idéologies qui prônent le bonheur ou la libération, demande surtout à ce qu’on le croit : Trust me ?, tu parles ! Comment ne pas reconnaître dans le Big Pink Pig la version perverse de pères imposteurs, qui se posent “tout naturellement” comme si tout cela était “normal” ?
Chez Roger Waters, le cochon, pavoisé de toutes ses oriflammes, emblèmes d’un marketing politiquement correct, devient démesurément gros et rose. Ainsi, le Big Pink Pig survole le public, jusqu’à ce que ces mêmes bras, cette foule en fosse, l’absorbe, le fasse chuter, comme tant de tyrans ou idéologues de libérations mensongères. On a même l’impression que la foule bouffe ce cochon qui finit par disparaître littéralement, piétiné par la fosse, en même temps que le mur commence par se fissurer et se désagréger. C’est le moment où d’autres perspectives aux hyperboles gracieuses, aux courbes suggestives, délicieuses, aux mille couleurs qui s’y entre-croissent, osent tracer un wall qui ressemble beaucoup plus à un cloud de rêve. Ce jeu de perspective permet ainsi d’autres figures plus fluides, moins militaires, moins rigides, plus courbes, féminines, comme ces regards, ces bouches et ces corps presque nus de jeunes femmes venant inspirer le mur.
Le deuil non fait du père, chez la mère et chez l’enfant devenu un homme, refait surface et se résout dans les versions colorées où le désir d’un homme pour une femme se projette dans un mur qui n’enferme plus rien, car il devient pur passage. Traversée du fantasme, malgré le non-deuil ? Ou résolution du deuil par la version créative, quoique pas mal obsessionnelle dans un art qui combine musique-concept précurseure de l’électro, cinéma, photo, rock progressif, vidéo, théâtre, opéra… et psychanalyse ? En tout cas, si le résultat est réussi pour le spectateur, il doit l’être également pour l’auteur, non ? Le wall devient la passe. Le résultat est aérien, un moment de soulagement, une ambiance pacifique et un peu Thanksgiving. Pourquoi pas, d’ailleurs. On en a besoin !
Contre l’égalité triste et obligatoire, contre la fraternité militarisée et délirante, contre la liberté impossible, contre les impostures des idéologies du XXème siècle, vient vaincre alors la différence. Contre la triste uniformisation des rapports anciens, figés dans le rigide, le monotone et l’homogène, vient ainsi la différence sexuelle apporter une érotique douce, sensuelle et esthétique.
Contre la fraternité communautarisée, vive la paternité renouvelée ! Contre la liberté-libertinage ou contre la liberté surveillée, vive la liberté tout court ! Contre l’égalité uniformisante, vive la différence créative !
German ARCE ROSS. Paris, septembre 2013.
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