German ARCE ROSS. Paris, le 29 avril 2017.
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Barrage ou résistance de civilisation contre l’extrême droite ? », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2017.
Qu’est-ce qu’on appelle faire barrage à l’extrême droite ? Est-ce que voter pour Emmanuel Macron au second tour des élections présidentielles 2017 équivaut à un véritable barrage contre l’extrême droite ?
À l’heure qu’il est, peut-on encore parler de barrage ou faut-il plutôt situer la solution en termes de ce qui serait une résistance de civilisation aux valeurs fortes ?
D’ailleurs, forcer moralement la population à créer un barrage purement électoraliste contre l’extrême droite, est-ce un acte politique suffisant, éthique et efficace, pour lutter contre les populismes des sociétés occidentales ?
En quoi peut-on considérer que le mouvement d’Emmanuel Macron est également le représentant d’un populisme de l’extrême ?
Selon les résultats du premier tour des élections 2017, ce sont les extrêmes qui ont gagné. Nous avons l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon (qui a eu un pourcentage aussi élevé qu’inattendu) et l’extrême nationalisme de Marine Le Pen, d’un côté, et l’extrême sociétalisme d’Emmanuel Macron, d’un autre côté. Face à cette situation, une partie du conservatisme de François Fillon s’est dispersé entre la droite dure de Nicolas Dupont-Aignan et la droite nationaliste de Marine Le Pen et, sans aucun égard, le socialisme de Benoît Hamon a été abandonné au profit de l’idéologie sociétaliste d’Emmanuel Macron.
Sans doute, c’est dommage de voir que la France s’est choisi l’une des pires possibilités pour le second tour avec l’affiche Macron-Le Pen. Pour des raisons bien différentes, ces deux personnages sont une catastrophe pour les valeurs de la civilisation française. Ils sont les représentants de deux des trois populismes en jeu. Du coup, presque tout est en place pour que l’une des deux versions de l’extrême arrive au pouvoir exécutif, malgré les appels insistants au barrage. Mais, pour l’instant, on n’y peut rien, c’est le signe de notre temps !
Ce qui est très curieux est de voir que trois grands secteurs de la société se font face de façon sadomasochiste, hypermoraliste et mutuellement haineuse. On est loin de la société duelle où au bourgeois s’opposait le prolétaire et au conservateur s’opposait le progressiste. Au second tour, nous ne retrouvons aucun progressiste mais deux masques des vieux temps recyclés en escroqueries au progrès. Toute notre société a tragiquement abdiqué, pour un temps, du progrès humain. Malgré le fait que le progrès technologique et les avancées scientifiques sont en pleine croissance et expansion, le progrès humain est pourtant empêtré dans les brèches idéologiques de communautés politiques qui se détestent mais, paradoxalement, collaborent aussi allègrement avec la barbarie actuelle de notre civilisation.
Nous avons donc deux extrémismes occidentaux, qui sont l’extrémisme de droite-gauche et l’extrémisme sociétaliste, ou sociétalisme genriste, vis-à-vis desquels apparaît le troisième extrémisme dans la figure angoissante du terrorisme islamiste. Nous avons ainsi trois jouissances identitaires qui s’opposent et qui se complètent constamment (Arce Ross, Jouissance identitaire dans la civilisation, 2015). Il va de soi par exemple que, pour l’idéologue du couple de l’extrême droite-gauche, l’Autre méchant est le jouisseur sociétaliste qui leur renvoie le même compliment, mais à l’envers. L’Autre méchant de ces deux populismes est le terrorisme islamiste mais celui-ci instrumentalise à sa guise les deux premiers, selon les cas. Front inter-national pour l’un, France soumise pour l’autre et terrorisme islamiste En marche. On veut faire barrage, mais on est déjà vachement mal barré…
Et les interrogations ne cessent d’affluer. Comment en est-on arrivé à une telle fragmentation civilisationnelle qui, pathétiquement, se déguise en progrès ? Et quel est le destin sémiologique de la vertu morale appelée “barrage à l’extrême droite” aussi bien que celui de la phobie politique qui lui est émotionnellement corrélée ?
Les électeurs qui ont voté “utile” pour Macron au premier tour se sont trompés s’ils croyaient qu’en choisissant de la sorte ils allaient construire si facilement un barrage, ou un mur, contre Le Pen. Pour construire des barrages, ou des murs, le seul fait de voter ne suffit pas, loin de là. Sinon, il faudrait commencer déjà par ne pas critiquer ceux qui ont voté pour qu’un Donald Trump construise son barrage mexicain. Si le mur de Trump est discriminatoire, en plus de démagogique car électoraliste, le mur anti-Le Pen semble être pour beaucoup une instrumentalisation idéologique, moralisatrice et électoraliste pour forcer l’élection de l’un des pires candidats à la présidentielle. En tout cas, le barrage, qui n’est désormais qu’un barrage moral, devient de plus en plus poreux, de plus en plus fragile. Et si l’extrême droite n’arrive pas au pouvoir exécutif, ayant Macron comme Président, elle continuera à progresser dans le pouvoir législatif. Jusqu’au jour où il n’y aura plus de barrage possible. C’est pour cela que peut-être le terme de barrage n’est plus adéquat et qu’il faudrait plutôt utiliser celui de résistance de civilisation, c’est-à-dire une résistance bien plus que politique et constituée de valeurs bien ancrées dans les racines judéo-chrétiennes de la civilisation occidentale.
Les électeurs qui ont voté “utile” pour Macron au premier tour se sont trompés non pas seulement parce qu’ils n’ont pas tenu compte de la grande difficulté pour qu’un Front républicain (gauche et droite unies contre l’extrême droite) se forme en 2017. D’ailleurs, il est bien beau que Hamon et Fillon appellent à voter Macron. Ils se sentaient bien obligés de le faire, par respect pour un Pacte républicain qui malheureusement peine à aller au-delà des semblants. Mais cela ne veut pas dire que les électeurs de Hamon et de Fillon suivront vraiment ces consignes, ni encore moins ceux de Mélenchon, le cas échéant. En effet, malgré les appels de plein d’hommes politiques de droite comme de gauche à voter au second tour pour Macron, il y a aussi des points de vue discordants qui proposent un vote de protestation contre un choix forcé et extrêmement moralisateur. C’est-à-dire que le vote d’abstention (nul, blanc ou absolu) risque de se frayer un chemin, malgré les appels à barrer la route au Loup brun. Le problème étant néanmoins que l’alternative se présente comme un Loup rose masquant pourtant un prince creux, manipulateur et condescendant.
En effet, les électeurs “utiles” de Macron au premier tour se sont également trompés sur l’efficacité de leur mur anti-Le Pen surtout parce que la politique de Macron est exactement la même que celle de Hollande et du PS, c’est-à-dire qu’il s’agit de politiques qui n’ont rien fait pour diminuer le poids de l’extrême droite. Bien au contraire, les politiques socialistes depuis 30 ans, ayant dérivé vers les troubles de civilisation que l’on connait désormais, ont involontairement ou volontairement impulsé et même à certains moments instrumentalisé, l’existence et le développement de l’extrême droite.
Sur quelles bases pouvons-nous considérer que Macron ait une quelconque autorité morale en politique pour devenir le maître d’ouvrage d’un mur anti-Le Pen ? Est-ce le simple fait qu’il devienne Président ? Si c’est cela, ce serait une double victoire donc, à savoir le fait de devenir Président et, par la même occasion, la chance de devenir le Héros Moral du “barrage” anti-Le Pen. Pourtant, son programme pousse vers une politique qui, sans doute, alimentera encore plus le choix des électeurs pour les programmes du populisme d’extrême droite-gauche. Mais nous pouvons poser cette question d’une autre manière.
Est-ce que le libéralisme sauvage, la négligence de l’augmentation du chômage, l’absence d’une politique efficace contre le terrorisme islamiste, le manque de contrôle des flux migratoires et la crise des migrants, la mise en place du mariage pour tous, l’accord de principe pour la PMA et la GPA, l’impulsion de l’idéologie du genre dans les écoles et les universités, l’homologation du transsexualisme, la dépénalisation des drogues, la valorisation de toutes les formes de pornographie, l’opposition inconséquente d’une laïcité idéologique et fanatique aux valeurs judéo-chrétiennes de notre civilisation, c’est-à-dire tous ces troubles de civilisation qui touchent toutes les couches de la population, sont vraiment les éléments pour un barrage contre l’extrême droite ? N’est-ce pas, au contraire, cette politique elle-même qui a toujours favorisé et alimenté la réaction du populisme d’extrême droite et d’extrême gauche ces dernières années ?
Évidemment, je ne pense pas qu’il faut s’opposer aux richesses financières ou au libéralisme. Bien au contraire, les richesses financières et le libéralisme relatif —à condition toutefois que celui-ci soit encadré par un esprit conservateur—, sont très utiles pour faire tourner l’un des moteurs du progrès et de l’innovation. Mais le problème de la position politique d’un Emmanuel Macron est de représenter une oligarchie, ou une section de l’élite, qui s’est malheureusement et profondément pervertie et est devenue extrémiste avec une tendance excessive à la démagogie avec quelques touches d’un lyrisme cynique. Autrement dit, le problème n’est pas que l’oligarchie soit capitaliste, mais que cette communauté idéologique se soit pervertie en termes de libéralisme sauvage, mondialisation incontrôlée, manipulation psychosociale et normes sociétales (Arce Ross, Normes sociétales et phénomène Trumpsexuel, 2016). C’est contre cette perversion ultra-libérale, sociétale et genriste —c’est-à-dire, contre ce populisme d’allure apparemment inoffensive mais non moins dangereux du mouvement En marche— que se pose, par radicalisation du sentiment de désillusion, la réaction de la France insoumise et du Front national. Nous voyons ainsi le double populisme d’extrême droite-gauche rejetant violemment le populisme libéral-sociétaliste des élites perverties. C’est de cette base d’exaspération des laissés pour compte de la mondialisation sauvage et des ségrégués du sociétalisme genriste que part le mouvement Ni patrie ni patron, ni Le Pen ni Macron.
N’oublions pas que les idéologues du mouvement En marche véhiculent inconsciemment les souffrances liées à la réussite financière et à l’individualisme sadomasochiste du libéral-sociétalisme. Il n’y pas que le bas peuple qui souffre des troubles de civilisation de notre époque. Un secteur significatif des dirigeants d’entreprise, des dirigeants politiques, leurs familles, leurs enfants, est touché également, de plein fouet, par les tribulations du sociétalisme genriste. Plus précisément, de manière tout à fait inconsciente parfois, bien que certaine et dangereuse, malgré les facilités matérielles de leur rang, beaucoup d’entre eux portent les stigmates, les croyances idéologiques, les addictions actuelles, les délabrements relationnels, du sociétalisme ambiant.
C’est pour ces raisons que je suis pleinement convaincu que, malgré le fait que des partis comme la France insoumise, le Front national ou le mouvement En marche véhiculent des idées extrémistes qui sont en progression —ou mieux, pour cette raison même—, nous devons écouter et analyser les plaintes et les choix de leurs électeurs pour mieux démonter ces trois extrémismes. Ne pas écouter ou ne pas prendre au sérieux les malaises et les symptômes civilisationnels de la population qui suit ce double populisme d’extrême droite-gauche (Arce Ross, Barrage à l’extrême droite et aux normes sociétales, 2016), ne nous aide en rien à les calmer et à les dépasser. Et, de toute façon, ce n’est pas en lui opposant le populisme des élites perverties, représenté par Emmanuel Macron, que nous allons trouver une solution pour le problème posé par l’extrême droite-gauche en France. D’autant plus venant d’une personnalité fade et inconsistante qui n’éveille aucune conviction forte chez son propre électorat.
Qu’est-ce que veut dire le barrage contre l’extrême droite au second tour des élections présidentielles ? Au mieux, cela voudrait dire seulement d’empêcher Marine Le Pen de devenir présidente aujourd’hui. Mais rien de plus.
Personnellement, jamais je ne pourrais voter pour un candidat d’extrême droite. C’est exactement l’opposé de ce que je pense et de mes valeurs. Je me bats depuis très longtemps, dans tous mes textes, contre cela, en essayant de montrer que mettre en place des lois comme le mariage pour tous était la porte ouverte à l’extrême droite. En l’occurrence, le problème macro-psychique qui se pose est que beaucoup de commentateurs, politologues et électeurs supposent inconsciemment, ou préconsciemment, que voter Macron équivaut à faire “barrage” à l’extrême droite. Eh bien, je pense que non. C’est de la pensée magique. Je pense que même si on vote Macron, il n’y a plus de barrage contre les multiples versions de l’extreme.
Il n’y a plus de barrage à l’extrémisme lorsque l’on met en place une politique qui la favorise et l’alimente. Et cela n’est pas d’une quelconque faute morale des abstentionnistes au second tour. Cela vient des politiques sociétalistes, comme celle de Barack Obama aux USA, qui ont été appliquées en France par les socialistes depuis au moins 25 ans. Maintenant, la question est de savoir comment mettre en place une résistance de civilisation contre l’extrême droite et contre les normes sociétales.
La triste vérité est que, même si Marine Le Pen perd au second tour, le barrage contre l’extrême droite a des grands risques de ne pas avoir vraiment d’effets. Elle peut facilement devenir la principale force d’opposition en France, étant donné que le FN à déjà gagné des millions d’électeurs par rapport aux élections précédentes et malheureusement peut (surtout avec Macron comme Président) avoir un très bon pourcentage lors des législatives de juin. Ainsi, il n’est pas exclu, si Macron devenait Président, qu’on assiste, dans quelque temps, à une cohabitation entre Macron et le FN.
Dans ce cas, si une partie des électeurs les plus durs de Jean-Luc Mélenchon et de François Fillon passaient au FN, les électeurs orphelins et non-extrêmes seraient tentés d’adhérer à des nouveaux partis à créer de chaque côté. Le barrage à l’extrême droite deviendrait alors illusoire ou ne servirait qu’à faire gagner des candidats aussi populistes et sociétalistes qu’Emmanuel Macron.
Cependant, il y a une deuxième acception de l’acte de barrage contre l’extrême droite lors des élections 2017. Cest que, dans le sens négatif, cela veut dire au fond instrumentaliser le danger de l’extrême droite pour que Hollande et Macron restent au pouvoir encore pour 5 ans. On tente alors de faire de la pression morale sur les indécis ou sur les abstentionnistes —comme les staliniens ou les maoïstes faisaient à une époque—, en essayant de les culpabiliser et de les coopter. Du coup, le choix démocratique, supposé jouer de façon libre de contraintes dans les élections, est vidé de sa substance. Et ça c’est l’une des perversions en politique, celle que j’appelle du terme de transmariage pour tous (Arce Ross, Troubles de civilisation en politique, 2017).
Faire “barrage” à l’extrême droite maintenant —que l’on vote Macron, nul, blanc ou qu’on s’abstienne— veut dire, plutôt et avant tout, faire opposition et construire une résistance de civilisation contre ces deux candidats insoutenables qui sont Macron et Le Pen. Car ce qui peut se passer est que beaucoup d’électeurs de Mélenchon et de Fillon ou bien voteront Le Pen, ou bien ils s’abstiendront. Dans ces circonstances surprenantes, face à l’impossible choix du couple Macron-Le Pen, l’abstention peut devenir la troisième force politique en France. Cependant, elle sera une force informe, diffuse, hétérogène, composite, antagoniste, impossible à unifier en l’état.
Étant donné que voter Macron est équivalent à voter pour un deuxième mandat de la politique désastreuse de François Hollande en termes surtout de valeurs de civilisation —ce qui entraîne par ailleurs la poussée de l’extrême droite—, c’est donc possible que le barrage au second tour ne soit qu’une palissade de paille. Dans ces conditions, ce n’est pas le barrage mais la résistance de civilisation à ces deux populismes qui devient possible si on oublie ce désastreux second tour.
Cela me gêne profondément la joie d’Emmanuel Macron devant sa victoire, alors que l’heure est grave et qu’il a gagné grâce justement à la présence importante de Le Pen dans les sondages. Et dans la mesure où Le Pen a fait un score historique, au fond, la vie politique de Macron dépend désormais de la force politique de l’extrême droite. Il s’agit donc, sans doute, d’un jeu pervers.
Si on ne veut pas de Marine Le Pen ni de l’extrême droite, on ne veut pas non plus du populisme des normes sociétales et des troubles de civilisation apportés par des politiques dont Emmanuel Macron était partie prenante. Au second tour, voter Le Pen c’est l’extrême droite directement, tout de suite. Mais voter Macron c’est l’extrême droite indirectement, tout de suite aussi. Comme nous l’avons déjà dit, voter Macron n’est en rien un barrage contre l’extrême droite. Donc, ni Le Pen ni Macron ? Que ce soit l’un ou l’autre qui gagne, nous avons plutôt à défendre, dès maintenant, avant même le second tour, les valeurs de civilisation qui ne trouvent leur place ni chez l’un ni chez l’autre.
Ce qui compte maintenant est de construire une véritable majorité à l’Assemblée nationale en termes d’une défense des valeurs de civilisation. En attendant, le second tour n’a plus vraiment d’intérêt. Il est complètement bousillé par le choix de ces deux populismes. Ce qui nous reste à faire est donc d’exercer un recul et de la réflexion pour inventer la double résistance de civilisation qui s’impose.
[Ce texte est un extrait d’un travail en cours sur la question de la laïcité identitaire dans ses rapports avec les troubles de civilisation].
German ARCE ROSS. Paris, le 29 avril 2017.
Copyright ©German ARCE ROSS, 2017. All Rights Reserved.
2 Pingbacks