German ARCE ROSS. Paris, 2011, octobre 2013.
Référence bibliographique (toute reproduction partielle, ou citation, doit être accompagnée des mentions suivantes) : ARCE ROSS, German, « Angoisses altruistes et ruptures inter-générationnelles dans l’anorexie-boulimie », Nouvelle psychopathologie et psychanalyse. PsychanalyseVideoBlog.com, Paris, 2013.
Altruistic anxieties and inter-generational ruptures in anorexia-bulimia
Starting from family contexts conveying real breaks in the emotional sense, be it secrets or family shortcomings, sometimes based on white factors, altruistic anxieties develop in the inter-generational relationship.
These, combined or not with the foreclosure of the Name-of-the-Father, will be able to produce, respectively, psychotic dissociations or neurotic ruptures into the next generation or, at the latest, from the third generation.
Angoisses altruistes et ruptures inter-générationnelles dans l’anorexie-boulimie
Partant de contextes familiaux véhiculant des véritables ruptures du sens affectif, que ce soit des secrets ou de lacunes familiales à la base parfois de facteurs blancs, il se développe, dans la relation inter-générationnelle, des anxiétés et des angoisses altruistes. Celles-ci, combinées ou pas à la forclusion du Nom-du-Père, pourront produire, respectivement, des dissociations psychotiques ou des ruptures névrotiques à la génération suivante ou, au plus tard, à partir de la troisième génération.
En effet, à la base de plusieurs cas de grandes ruptures psychiques, nous observons de très forts complexes familiaux, souvent sous la forme de secrets, qui fonctionnent comme des espaces vides mais présents, forcément non-symbolisés, radicalement évités, mais trop présents dans les relations entre celui qui le connaît (en général, les parents ou les adultes) et celui qui subit secondairement ses effets (en général, l’enfant). Les textes de vérité de ces secrets d’adulte ou de famille, qui auraient le mérite d’être appelés plutôt par le terme de secrets inter-générationnels, concernent en général des événements en souffrance chez la ou les générations précédentes. Ces événements non symbolisés mais cruciaux, dégageant une terrible angoisse de culpabilité ou de mort et inhibant la narration fluide du factuel, sont par exemple, des confusions dans la lignée généalogique ou générationnelle, les alliances illégales, sauvages ou anarchiques empêchant la nomination, les deuils pathologiques, l’empreinte indélébile d’un personnage innommable, etc. Les « grandes » ruptures psychiques dont nous parlons sont, par exemple, les voyages pathologiques, les errances radicales de tout lien social, la clochardisation volontaire, la renaissance psychotique, la fuite des idées, l’émancipation impulsive, le rejet avec mépris, la fuite permanente de tout contact…
Pour illustrer ces ruptures, nous pouvons nous référer à quelques films tels que Paris Texas par exemple, où un homme tente obstinément de rejoindre l’espace mythique de ses origines alors qu’il est en proie à un vide affectif incommensurable, notamment en tant que fils, en tant qu’homme et en tant que père [1]. Ou alors, évoquons le cas du personnage principal de Forrest Gump, car ce jeune homme part encore en voyage pathologique, entre dérive, débordement de soi et errance radicale, à la recherche d’un point géométral qui le guide et le fixe vis-à-vis de son terrible vide affectif [2]. Tous les deux le retrouveront dans les conjonctures permettant la mise en place d’une paternité aussi substitutive et réelle qu’un minimum symbolique. Ces destins plutôt heureux sont venus intervenir, in extremis, lors d’une fuite des événements où le sujet était dangereusement placé. Cependant, ce n’est pas tout à fait le cas du projet suicidaire inconscient dans lequel s’est irrémédiable lancé, sans le savoir et sans vraiment le contrôler, le personnage principal du film Into the Wild [3]. Sans de véritables délires, probablement sans hallucinations non plus, Christopher McCandless ne commet pas seulement des passages à l’acte, mais il rentre dans une forme de vie où il devient spectateur de plusieurs séries de faits qui lui arrivent, dans une escalade soutenue et dirigée vers l’autodestruction. Au fur et à mesure des événements qui fuient, il se présente au jeune homme la possibilité d’être arrêté, ou d’être fixé, dans son élan suicidaire, dans le lien avec quelques autres qu’il vient de rencontrer et qui s’attachent à lui. Le problème fondamental est que lui ne s’y attache pas. Il est dans une rupture totale d’avec le monde humain. Il n’arrive pas à tisser des liens forts avec les autres, ou les rejette radicalement, puisqu’à chaque nouvelle occasion il s’en détourne pour se retrouver, de plus en plus, dans une extrême solitude qui le mène à périr. Ou encore, il faudrait songer à l’histoire de Jean-Baptiste Grenouille dans Le Parfum [4] qu’on a déjà eu l’occasion d’étudier plus avant. Dans sa recherche délirante du parfum essentiel pour sentir la vie en soi, il glisse sans préméditation ni calcul dans une fuite des événements qui le mène trop loin dans le but impossible et insensé de faire du vivant un véritable objet d’art.
Dans toutes ces histoires, il y a une profonde rupture avec les liens sociaux, culturels, familiaux, générationnels, un grand isolément, une errance sans fin, voire une tentative de retrouver un état de nature, impossible d’ailleurs à atteindre vraiment sans rencontrer la mort. Cependant, le secret inter-générationnel ne me semble pas suffisant pour que cela puisse provoquer ces réactions si radicales chez un sujet de la dernière génération. Il y a bien d’autres éléments qui sont en cause. L’un d’eux me semble être celle que j’appelle l’angoisse altruiste, qui reste à définir et à décrire avec précision. Pour l’instant, nous pouvons dire que si l’angoisse altruiste se trouve à la base, ou à la source, de la problématique du secret inter-générationnel, elle est aussi à comprendre comme étant le moyen, ou l’un des moyens, par lequel cette problématique est transmise de façon pathogène.
Angoisses altruistes et secrets familiaux
Si Lacan formule que le désir de l’homme est le désir de l’Autre, c’est que dès le début de l’existence, un sujet développe sa personnalité en partant nécessairement du désir de l’Autre. De la même façon, Michael Balint soutenait que la première expérience de l’amour, celle de l’amour primaire, provient de l’amour de l’Autre maternel. En effet, désir et amour, sensations et sentiments, émotions et affects ont besoin, non seulement pour exister mais surtout pour ne pas être trop débordants, ni virer à des pures angoisses, d’un encadrement dialectique dans la relation à l’Autre.
Partant de ce constat, on peut supposer que dans le cas contraire, quand on observe des facteurs blancs concernant les événements cruciaux de la vie d’un sujet, il s’agirait d’une défaillance radicale du désir et de l’amour, de l’émotion et de l’affect chez l’Autre, soit qu’ils aient été carrément manquants, soit qu’ils aient été excessifs et surtout non-dialectisés, c’est-à-dire non accordés à une tension dialectique avec d’autres éléments du lien. Mais alors, qu’est-ce qui se passerait dans ce cas-là, au niveau psychique, pour que cette défaillance produise ses effets pathologiques ?
On trouvera la suite de ce texte in: La Fuite des événements
German ARCE ROSS. Paris, octobre 2013.
Copyright © 2013 German ARCE ROSS. All Rights Reserved.
2 Pingbacks